À Zurich, la galerie Eva Presenhuber possède deux lieux. Celui, relativement classique, stratégiquement situé à quelques pas du Kunsthaus. Et un second à l’opposé, dans l’ancienne zone industrielle de la ville, qui jouxte la Prime Tower, gratte-ciel tout en verre, troisième sur la liste des plus hauts buildings de Suisse. C’est là, dans un gigantesque espace d’un seul tenant que sont présentées les dernières séries de Gerwald Rockenschaub dont c’est la huitième exposition chez la galeriste zurichoise. Il faut dire que l’histoire entre l’artiste autrichien et Eva Presenhuber est déjà longue. Une amitié de plus de trente ans : elle le présentait déjà en 1990, à l’époque où elle dirigeait la galerie Walcheturm.
Intitulée « bass+ (re)modification », l’exposition présente 26 petites peintures carrées et rectangulaires en MDF de différentes couleurs et dont les formats sont inversement proportionnels à la taille de la salle. Une ligne noire, qui court le long de tous les murs, délimite le champ de l’accrochage de ces « objets », comme leur auteur les appelle. Tous sont ainsi exposés un peu au-dessus ou juste en dessous, selon un protocole qu’on imagine très précis.
Le visiteur qui pénètre dans l’exposition a ainsi l’impression de voir des pixels perdus dans l’immensité immaculée des parois. L’ensemble peut être apprécié comme une installation globale. Mais l’artiste autrichien l’a également pensé en séquences. Deux tableaux carrés, l’un violet, l’autre vert, accompagnent un troisième, rose et légèrement plus grand. Plus loin, un rectangle jaune et un carré bleu forment une autre combinaison. Et ainsi de suite, de grandes plages vides assurant les enchaînements entre les sets.
Sachant que Gerwald Rockenschaub associe souvent son travail avec la musique – il est également DJ et musicien électro –, ces pièces composent donc une sorte de partition, la ligne noire donnant la hauteur et la tenue des notes, que chaque petit panneau représente. Des notes aux allures retro-techno tant elles rappellent celles des premiers logiciels musicaux. Le spectateur, en avançant, interprète ainsi dans sa tête cette petite mélodie minimale.
Le rythme, l’œuvre picturale qui envahit l’espace comme le son : voilà qui fait sens chez un artiste qui s’intéresse depuis plus de 40 ans à la création sur ordinateur, à la réalisation d’installations qui entrent en résonance avec l’architecture qui les accueille et le spectateur qui les traverse. Esthétiquement, son œuvre reste fidèle à cette inspiration « néo-géo » qui l’anime depuis le début des années 1980. Ses tableaux géométriques abstraits font aussi bien référence au Bauhaus et à Kandinsky – autre artiste qui cherchait à mettre la musique en peinture – qu’au logo et à l’art minimal et conceptuel américain. Il s’en distingue cependant par cette touche pop qui le caractérise : la vivacité des couleurs, les motifs parfois un peu kitsch et l’utilisation de matériau réfléchissant comme le PVC.
Le « Funky Minimalist », c’est ainsi qu’il se désigne, est donc aussi joueur. Gerwald Rockenschaub aime surprendre, renverser les codes de la peinture contemporaine en cherchant à produire l’effet maximum avec le minimum de moyens. Ou, à l’inverse parfois, à dépenser beaucoup d’énergie pour arriver à ses fins. Comme à la Biennale de Venise de 1993, lorsque l’artiste avait installé dans le Pavillon autrichien des passerelles métalliques en hauteur. Perchés presque au plafond, les visiteurs qui les empruntaient découvraient l’espace d’exposition d’un tout autre point de vue.
« Gerwald Rockenschaub, bass+ (re)modification », jusqu’au 18 mai 2024, Galerie Eva Presenhuber, Maag Areal, Zahnradstr. 21, Zurich, Suisse.