Rarement une Biennale de Venise n’a ouvert dans un contexte international aussi tendu. Quelques jours avant son inauguration, l’Iran a lancé une attaque sans précédent sur Israël, pays en guerre contre le Hamas depuis le massacre perpétré par le groupe terroriste le 7 octobre 2023. Conséquence directe du conflit au Proche-Orient, le Pavillon israélien n’a pas ouvert sur décision de l’artiste sélectionnée, Ruth Patir, et de ses commissaires. La guerre en Ukraine s’invite elle aussi au Pavillon polonais avec une installation vidéo mettant en scène des réfugiés imitant le bruit des fusils d’assaut, des missiles, des sirènes d’alarme… Le collectif d’artistes ukrainiens Open Group (Yuriy Biley, Pavlo Kovach et Anton Varga) propose aux visiteurs de reproduire ces sons comme dans un karaoké glaçant.
D’autres pavillons des Giardini font écho aux bruits du monde. Le thème « Étrangers partout » du directeur artistique de cette 60e édition de la Biennale, Adriano Pedrosa, infuse plusieurs sélections nationales qui donnent la parole aux artistes autochtones, queers, et aux thèmes postcoloniaux. Tel est le cas du Pavillon des États-Unis avec Jeffrey Gibson, descendant de la nation Cherokee, premier représentant des Indiens d’Amérique à avoir été sélectionné pour représenter le pays. Ses peintures et sculptures hautes en couleur et ses vidéos de danse valorisent un héritage culturel sans omettre de dispenser un message politique, à l’instar de « We want to be free » inscrit sur l’une de ses œuvres à l’entrée du parcours. Le Pavillon brésilien met également à l’honneur la communauté Tupinambá.
La France invite pour la première fois un artiste originaire des Caraïbes. Le Martiniquais Julien Creuzet a conçu avec brio un environnement immersif, associant sculptures, sons et vidéos faisant appel aux images de synthèse, y compris à l’extérieur du bâtiment. L’univers marin y est omniprésent, les salles sont bercées par sa poétique créole sous la forme d’une composition musicale à sept chansons.
Dans le Pavillon de la Grande-Bretagne voisin, John Akomfrah traite à travers une série de vidéos la question postcoloniale mais aussi écologique, citant notamment la pionnière Rachel Carlson et l’écrivain Édouard Glissant. L’artiste a imaginé un cheminement qui débute au sous-sol et se ponctue par une installation sonore, conçue en collaboration avec Dubmorphology.
Le postcolonialisme et la question migratoire sont tout autant au centre du Pavillon de l’Espagne avec le projet « Migrant Art Gallery » de l’artiste hispano-péruvienne Sandra Gamarra Heshiki. Kapwani Kiwanga a, quant à elle, réalisé au Pavillon du Canada une installation élégante en évoquant avec des perles de verre de Murano le passé de la Sérénissime, plaque tournante du commerce à partir du XVIe siècle. Le Pavillon suisse accueille l’univers queer et kitsch du Brésilien Guerreiro do Divino Amor. Un exemple parmi d’autres de la volonté de sortir de l’ombre les minorités et les diasporas du Sud Global.
« Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere », 60e Exposition internationale d’art de la Biennale de Venise, du 20 avril au 24 novembre 2024, Giardini et Arsenale, Venise