Un portrait tardif de Gustav Klimt à l’histoire entourée de mystère a été vendu pour 30 millions d’euros (35 millions d’euros avec les frais) chez Im Kinsky à Vienne, un record dans une vente aux enchères en Autriche.
La récente découverte du Portrait de Fräulein Lieser (1917) a été qualifiée de « sensation » par la maison de vente aux enchères viennoise. Auparavant, l’œuvre n’était connue que par une photographie en noir et blanc et était considérée comme perdue jusqu’à ce que la maison Im Kinsky ne reçoive un appel téléphonique du consignateur il y a 16 mois environ.
Le prix payé par un enchérisseur de Hong Kong se situe dans le bas de l’estimation de 30 à 50 millions d’euros. Cependant, il représente plus de quatre fois le précédent record autrichien atteint en 2010, lorsque la maison de ventes Dorotheum avait vendu un tableau de Frans Francken II pour un peu plus de 7 millions d’euros. Le record absolu pour un Klimt vendu aux enchères avait été établi en juin 2023 chez Sotheby’s à Londres, lorsque son portrait Dame mit Fächer(Dame à l’éventail, 1917) avait été vendu pour 85,3 millions de livres sterling frais inclus (99 millions d’euros).
« Nous sommes évidemment ravis de ce résultat, mais nous ne sommes pas vraiment surpris », a déclaré Claudia Mörth-Gasser, spécialiste de Klimt chez Im Kinsky.
Le modèle de ce portrait de Klimt n’est toujours pas identifié. Le commanditaire et le devenir du tableau pendant la Seconde Guerre mondiale ne sont pas non plus connus. L’identité du propriétaire avant-guerre étant incertaine, la maison de vente aux enchères a négocié un accord entre le consignateur et les héritiers de deux branches de la famille Lieser, qui étaient d’importants industriels juifs de l’Empire austro-hongrois.
Les héritiers recevront une partie du produit de la vente, a déclaré Ernst Ploil, directeur d’Im Kinsky, lors d’une conférence de presse annonçant la vente en janvier. Cet accord est basé sur l’hypothèse que le portrait a été spolié par les nazis, bien que rien ne soit prouvé.
« Ce qui est sûr, c’est que le tableau se trouvait encore dans l’atelier de Klimt au moment de sa mort, en 1918 », a déclaré Ernst Ploil. Klimt ne l’a jamais vraiment achevé et il n’a pas été signé. On suppose que les exécuteurs testamentaires de Klimt l’ont remis à celui qui l’avait commandé. Fait inhabituel, « il n’y a pas de timbres ou d’autocollants au dos du tableau », précise Ernst Ploil.
L’identité du sujet du portrait et de l’auteur de la commande est sujette à débat. Les notes de Klimt n’identifient le commanditaire que sous le nom de « Lieser ». On a longtemps cru – c’est ce qui figure dans le catalogue raisonné de Klimt – que le tableau avait été commandé par Adolf Lieser et représentait sa fille, Margarethe Constance Lieser.
Cependant, la maison Im Kinsky pense aujourd’hui que le portrait pourrait avoir été commandé par Henriette Amalie Lieser-Landau, l’ex-femme de Justus Lieser, le frère d’Adolf, selon Ernst Ploil. Henriette Amalie, mécène et amie d’Alma Mahler, avait deux filles, Annie et Hélène, qui pourraient toutes deux être représentées sur ce tableau. Selon le journal autrichien Der Standard, les documents d’immigration américains d’Annie indiquent que ses yeux étaient gris, alors que la fille du tableau a les yeux bruns. Or, Hélène, qui est devenue une économiste réputée, avait les yeux bruns, selon Der Standard.
Henriette Amalie Lieser-Landau a été déportée en 1942 et assassinée en 1943. Un négatif noir et blanc du tableau conservé à la bibliothèque nationale autrichienne a été archivé avec une note indiquant « 1925 en possession de Frau Lieser IV, Argentinierstrasse 20 ». Selon Der Standard, il s’agissait alors de l’adresse d’Henriette Amalie.
Mais Tobias Natter, l’un des auteurs du catalogue raisonné du peintre, n’est toujours pas convaincu par cette hypothèse. Il considère que de nombreux indices indiquent que le modèle est Margarethe Constance Lieser. Il souligne que l’inventaire des biens qu’Henriette Amalie a été contrainte de dresser par les nazis ne mentionne pas le portrait, alors que d’autres objets – des œuvres d’art, mais aussi de la porcelaine et des articles ménagers – sont répertoriés par le détail.
Le fait que le fils de Margarethe Constance, William Heinrich Maria de Gelsey, ait tenté de retrouver un portrait de sa mère par Klimt avant sa mort en 2021, selon le journal autrichien Kronen Zeitung, conforte l’hypothèse défendue par Tobias Natter. Dans un article daté du 21 avril 2024, le journal a suggéré qu’il aurait été préférable de reporter la vente aux enchères et l’accord avec la famille Lieser jusqu’à ce que le mystère soit résolu.
L’identité du commanditaire n’est « pas seulement une question pour chercheurs, c’est un point crucial concernant la provenance », a déclaré Tobias Natter.