À l’heure où le Centre Pompidou, à Paris, dédie une importante exposition au sculpteur roumain naturalisé français Constantin Brancusi 1*, les éditions L’Atelier contemporain publient fort à propos, sous le titre L’Art, c’est la vérité absolue, une anthologie de textes, aphorismes, pensées diverses et autres poèmes – y compris un scénario de film – établie directement à partir des archives, des notes et des manuscrits rédigés par l’artiste lui-même, soit près de 200 feuillets 2*.
Né dans la région des Carpates en 1876, Constantin Brancusi s’installe à Paris en 1905, dans la célèbre impasse Ronsin du 15e arrondissement de Paris, après avoir traversé l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse. Marie Vassilieff y a également son atelier, Max Ernst réside non loin de là. Marcel Duchamp, Tristan Tzara, Francis Picabia, Sonia Delaunay, et bien d’autres artistes encore, viennent rapidement lui rendre visite. La chorégraphe Lizica Codréano y danse parfois au son des Gymnopédies d’Erik Satie, dans un costume que l’artiste lui a spécialement confectionné.
DÉPASSER LA MATIÈRE
Car Constantin Brancusi n’est pas que ce créateur qui a révolutionné la sculpture, et l’art moderne dans son ensemble, il est également un photographe hors pair, un touche-à-tout de génie et un métaphysicien affirmé. Fervent chrétien orthodoxe, il fréquente l’église roumaine de Paris et participe en tant que servant à la liturgie. L’essentialisme et la pureté de ses œuvres sont donc fondés sur une volonté de débarrasser la sculpture de tout carcan ou diktat précédemment imposé tout autant que sur une philosophie universaliste mêlant traditions byzantine, grecque et bouddhiste. Face à la demande de retrait de sa sculpture en bronze Princesse X lors du passage du ministre au Salon des indépendants de 1920 – Henri Matisse y voyait la représentation directe d’un phallus –, l’artiste déclara : « C’est la synthèse de la femme, l’“éternel féminin” de Goethe, réduit à son essence. Cinq ans, j’ai travaillé, j’ai fait dire à la matière l’inexprimable [...]. Et je crois, enfin vainqueur, avoir dépassé la matière. »
Issue des recherches rigoureuses et exhaustives menées par Doïna Lemny, historienne d’art et ancienne conservatrice au Centre Pompidou, cette anthologie rassemble l’intégralité des écrits qu’a laissés Constantin Brancusi dans sa langue maternelle ou d’adoption – et dans leur syntaxe d’origine –, pour la plupart griffonnés d’une plume alerte et concise sur des pages de carnets, des bouts d’enveloppes, des papiers volants.
Face à l’hétérogénéité du corpus, un classement en six chapitres vient opportunément structurer l’ensemble : « Aphorismes », « Écrits
sur l’art », « Écrits sur la vie », « Écrits divers », « Essais littéraires » et « Essais d’autobiographie ». Entre goût pour la provocation et esprit dada, sa pensée ne cesse néanmoins de rebondir et de vagabonder d’un registre à l’autre. Doïna Lemny résume ainsi sa personnalité : « Il était charmant, touchant et redoutable, mais par-dessus tout, un magicien qui avait un plaisir particulier à envoûter et à semer la confusion. » Autrement dit, comme le souligne Constantin Brancusi : « Il faut nous délivrer nous-mêmes pour que les autres se délivrent par nous. »
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1* «Brancusi», 27 mars-1er juillet 2024, Centre Pompidou, centrepompidou.fr ; lire aussi page 34.
2* Ces feuillets proviennent des archives de l’artiste conservées dans le fonds Brancusi de la bibliothèque Kandinsky, au Centre Pompidou, à Paris.