L’exposition du musée Matisse se base sur une série de dualités. La principale relève du choix de ne presque jamais présenter dans la même salle les œuvres des deux artistes. Autre particularité, ce qui nous est donné à voir d’Henri Matisse ici n’est pas l’œuvre du virtuose coloriste que l’on a coutume de contempler, mais celle d’un inlassable expérimentateur du noir et du blanc, autrement dit du trait et de la ligne. Dans les salles qui lui sont consacrées, le visiteur bénéficie ainsi d’une unique occasion de suivre au plus près les variations et études séquentielles destinées à des œuvres majeures et réalisées à vingt ans d’écart. On pense ici aux esquisses pour la troisième version de La Danse (1930-1933) accrochée à la Fondation Barnes à Philadelphie ou à celles préparatoires aux figures de la chapelle Notre-Dame du Rosaire à Vence (1948-1953). De nombreuses lithographies et eaux-fortes viennent compléter ce panorama, dont les planches issues de la grande série conçue en 1929, très rarement exposées.
Éric de Chassey parle donc à juste titre de « consonances et de dissonances » entre les deux démarches, qu’il s’agisse du traitement ou non de la couleur, des techniques, des supports ou des formats. Djamel Tatah, quant à lui, note que « dans cette exposition, les visiteurs [peuvent] s’apercevoir que Matisse a ouvert un champ d’expérimentation de la forme qui laisse une grande liberté d’expression aux artistes qui se sont, à des degrés divers, appropriés sa peinture ». (1)
Les questions du dessin et de la ligne restent cependant les éléments fondamentaux de cette rencontre, eux qui peuvent rapprocher les deux hommes. « Ce qui m’a interpellé chez Matisse, c’est le dénuement des figures, les espaces vides, la simplicité des traits, le dessin qui ne perd jamais le contact avec l’idée », poursuit Djamel Tatah.
Ce sont précisément ce dénuement des figures, ces espaces vides, qui caractérisent, entre autres, non seulement les peintures, mais aussi l’univers de Djamel Tatah. Le peintre n’a cessé d’instaurer un dialogue entre la forme et le fond, la figuration et l’abstraction, le portait et le monochrome, à l’instar de certaines œuvres de Francis Bacon. Comme ce dernier, Djamel Tatah est un peintre de la corporalité et de la surface – réunir ces deux artistes pourrait d’ailleurs constituer une passionnante exposition. Ces deux notions distinctes, Djamel Tatah parvient à les faire dialoguer dans ses tableaux grâce à une dynamique narrative malgré la stature hiératique de ses personnages. Il travaille certains d’entre eux par séquences, quand pour d’autres il utilise le mouvement (en se rapprochant de la sorte de La Danse de Matisse), avec ses personnages qui semblent prendre leur envol pour se détacher du cadre qui les contraint. Tentent-ils ainsi d’échapper à la mélancolie qui caractérise leur visage et leur regard, leur tête basse, signes tangibles de leur solitude face à un destin inconnu qui semble les accabler ?
« Tatah - Matisse. Sans titre », jusqu’au 27 mai 2024, Musée Matisse, 164 avenue des Arènes de Cimiez, 06000 Nice
Catalogue, coédition Musée Matisse - Éditions In Fine, 96 p., 29 euros