Lorsqu’il fonde en 2016 avec l’association EAC–L’Boulvart le Festival Jidar, à la demande de la Ville de Rabat, Salah Malouli a alors deux objectifs : faire connaître au public marocain la fine fleur de la scène internationale du street art et susciter des vocations chez de jeunes artistes férus de culture urbaine. « Durant les premières années, explique-t-il, nous avons convié les meilleurs artistes dans leur spécialité, mais l’objectif était aussi de créer une scène locale de street art. » La réalisation de murs collectifs auxquels ont collaboré dès le début des étudiants de l’Institut national des beaux-arts ou de l’École nationale d’architecture de Rabat a permis de lancer quelques artistes. « La logique de la programmation a évolué, constate Salah Malouli, car nous invitons désormais des artistes marocains ayant commencé sur le mur collectif. »
Les fresques murales
Ainsi de Réda Boudina 1*, diplômé de l’Institut national des beaux-arts de Tétouan, qui est passé du graffiti aux murales, après un détour par la création de bas-reliefs en Plexiglas déclinant les formes géométriques de l’architecture brutaliste présente dans plusieurs villes marocaines comme Casablanca ou Meknès. « Après avoir participé en tant que grapheur au Festival de Jidar en 2015, puis au mur collectif, explique-t-il, j’ai été convié à composer une fresque murale sur la façade d’un ancien bâtiment de la Trésorerie, dans l’esprit des collaborations entre artistes et architectes, telles que celle de Melehi avec le cabinet d’architectes Faraoui et de Mazières qui réalisait des intégrations dans les années 1970. »
Pour Salah Malouli, le street art fait partie intégrante de l’art contemporain, ce que ne dément pas l’intérêt que portent à cette pratique les institutions, aussi bien muséales que commerciales. « Le street art en galerie ou au musée, c’est également de l’art contemporain dont on peut casser les codes trop souvent rigides », soutient-il en rappelant les exemples new-yorkais de Jean-Michel Basquiat ou de Keith Haring.
En 2022, la galerie L’Atelier 21, à Casablanca, organisait l’exposition collective « La Ville devant soi » avec les artistes marocains, révélés lors du Festival Jidar, Simo Mouhim et Ed Oner. Ce dernier a encadré la réalisation du mur collectif de l’édition 2024 en compagnie d’une douzaine de participants. En 2018, le musée Mohammed VI d’Art moderne et contemporain (MMVI) conviait à Rabat l’artiste américain JonOne à concevoir une fresque murale de 300 m2 sur la tour de la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc. Partenaire du Festival Jidar en 2017, le MMVI sollicite encore aujourd’hui des artistes pour peindre des fresques sur les murs extérieurs du musée, à l’image d’Ilias Selfati qui s’est plié à l’exercice en 2023. L’artiste aime rappeler qu’à l’inverse du tableau, qui n’entretient aucun rapport avec l’architecture ou un support matériel spécifique, « la peinture murale leur est subordonnée, c’est-à-dire qu’elle doit être complémentaire à l’architecture selon ses proportions modulaires ».
De l'atelier à la rue
Sans doute l’une des spécificités de Jidar est-elle de convier des artistes prolongeant dans la rue leur pratique intime de l’atelier. À l’occasion de la première édition, en 2016, Yassine Balbzioui a été invité à réaliser une fresque sur le mur d’une école publique. « Je n’ai utilisé ni bombes ni sprays, je me suis servi d’une éponge, se souvient-il. J’ai projeté l’état d’esprit de l’atelier sur le mur que j’ai préparé avec du noir, un peu à la façon de Rembrandt. » Depuis, le peintre a conçu plusieurs fresques à Dakar (Sénégal) et Karachi (Pakistan). Il est à présent en Allemagne où il élabore avec un céramiste une œuvre qui prendra place dans une piscine de Johannesburg (Afrique du Sud). « Le mur a déclenché en moi l’idée que l’on pouvait faire autre chose. Lorsque tu réalises une fresque, l’interaction est ouverte avec le public. Dans la rue, les gens te posent les questions qu’ils veulent. Tu ne peux pas te cacher, contrairement à l’atelier », ajoute-t-il.
De son côté, Ghizlane Agzenaï, qui avait peint en 2018 une façade du MMVI et installé des totems dans les ruelles de la médina de Rabat, n’établit pas de distinction entre l’art urbain et sa pratique à l’atelier. « Qu’il s’agisse d’un mur ou d’une toile, le processus de travail est le même, souligne-t-elle. Ma pratique en galerie vient compléter mes interventions urbaines. » Ce que l’on a pu découvrir lors de son exposition immersive « Dimension 2112 : Genesis », en octobre 2023 à la Galerie 38, à Casablanca, où l’artiste projetait sur l’un des murs ses abstractions géométriques sous forme de mapping vidéo.
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1* « Réda Boudina. Modernités fugitives » 27 mai - 30 juin 2022, Comptoir des Mines, Marrakech.
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