Lorsqu’en 2013, Laurence Le Guen entreprend une thèse autour des livres photographiques pour enfants, elle imagine que ses recherches aboutiront à la mise en évidence de 400 ou 500 publications tout au plus. La professeure de lettres modernes, elle-même auteure de livres jeunesse, découvre finalement l’existence de plusieurs milliers d’exemplaires de ce genre méconnu et longtemps méprisé, auquel ont pourtant contribué les plus grands noms de la photographie, d’Edward Steichen à Marc Riboud en passant par Ergy Landau, Hannah Höch, Claude Cahun, Annette Messager ou encore Robert Doisneau, Eikoh Hosoe et Duane Michals.
L'essor d'un genre
La photolittérature jeunesse connaît une première importance dès la fin du XIXe siècle aux États-Unis, où livres de contes, de voyage ou de science ainsi que romans sont illustrés de photographies. En Europe, il faut attendre les années 1930 et l’essor de la photographie comme nouveau langage visuel pour que s’épanouisse le genre. Les ouvrages de cette période témoignent d’une double influence : celle de l’avant-garde photographique en lien avec les développements graphiques et éditoriaux, et celle des pédagogies de l’Éducation nouvelle 1* venues bouleverser les vérités autour de l’apprentissage de l’enfant. En atteste le superbe imagier Mes Photos (1931) d’Emmanuel Sougez 2*, un des porte-drapeaux de la Nouvelle Objectivité 3* en France.
Le livre photographique pour enfants atteint son âge d’or dans les années 1950, lorsque s’en emparent les grandes maisons d’édition, telles que la Guilde du livre, Hachette ou Nathan, et que fleurissent des collaborations entre écrivains et photographes. Le Petit Lion (1947) de Jacques Prévert et Ylla constitue l’un des plus importants succès en librairie de cette époque, avec l’ouvrage de Robert Doisneau, 1, 2, 3, 4, 5. Compter en s’amusant (1955) paru aux éditions Clairefontaine. Suivra une large variété de publications, du conte de Barbe Bleue réinterprété par Cindy Sherman en 1983 au Petit Chaperon rouge (1983) de Sarah Moon, dont les photographies jugées trop réalistes sont critiquées pour la violence qu’elles dépeignent. La tradition se poursuit aujourd’hui grâce aux dernières générations de photographes, parmi lesquels Charles Fréger, JR ou Marie Liesse.
C’est toute cette histoire que retrace l’exposition à travers un parcours chronologique que viennent enrichir quatre gros plans sur des catégories caractéristiques du genre : l’imagier, le livre de cinéma, le livre de conte et le livre de voyage. Un fascinant panorama qu’il est possible d’approfondir avec un autre ouvrage de belle facture, Cent cinquante ans de photolittérature pour les enfants, publié par Laurence Le Guen aux éditions MeMo 4*, maison grâce à laquelle ce genre étonnant continue de nous surprendre.
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1* L’Éducation nouvelle est un mouvement de réforme pédagogique international qui émerge à la fin du XIXe siècle.
2* Emmanuel Sougez, [Mes photos] Regarde ! 24 photographies, Paris, H. Jonquières, 1931.
3* La Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit en allemand) est un mouvement artistique né en Allemagne après la Première Guerre mondiale, qui vise à représenter la réalité avec rigueur et sans affect.
4* Laurence Le Guen, Cent cinquante ans de photolittérature pour les enfants, Nantes, éditions MeMo, 2022.
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« Regarde ! 150 ans de livres de photographies pour les enfants », 1er mars - 31 mai 2024, Maison de la photographie Robert-Doisneau, 1, rue Division du-Général-Leclerc, 94250 Gentilly.