Dupré-Lafon, le décorateur des millionnaires
Paul Dupré-Lafon est un personnage atypique dans le monde de l’Art déco qui compte pourtant de nombreux créateurs au caractère bien trempé. L’audace du décorateur, indépendant, voire individualiste, se matérialise dans sa démarche créatrice : il réussit à associer avec élégance deux courants que tout oppose dans l’histoire des arts décoratifs en Europe, les traditionalistes et les fonctionnalistes. Il est aisé, en effet, de reconnaître dans les matériaux luxueux utilisés par Dupré-Lafon – les bois précieux, les cuirs Hermès – l’héritage de la grande ébénisterie française incarnée par Jacques-Émile Ruhlmann. Les lignes modernistes, post-cubistes de son mobilier le rapprochent en revanche du club des Cinq créé en 1926 par Pierre Legrain, avec Pierre Chareau, Raymond Templier, Jean Puiforcat et Dominique. La maison de ventes Ader présente un ensemble de neuf pièces du décorateur qui proviennent d’une collection privée de Neuilly-sur-Seine. « Le propriétaire, disparu il y a peu, avait acheté ces meubles en 1987 lors de l’exposition de la galerie Couvrat Desvergnes consacrée à Dupré-Lafon, souligne Emmanuel Eyraud, expert de la vente. [L’enseigne] a permis alors de redécouvrir le créateur un peu tombé dans l’oubli depuis la fin des années 1950 ». Parmi les highlights de la vacation figure un bureau courbe (est. 50 000-80 000 euros) acheté 245 000 francs (soit environ 75 000 euros en 2024) hors frais à Drouot en octobre 1986. Un record à l’époque. Dans la vacation, figurent deux autres pièces singulières : une coiffeuse d’applique réalisée dans les années 1920 par Eileen Gray estimée entre 80 000 et 120 000 euros et une rarissime amphore moderniste de Marguerite de Bayser-Gratry provenant de la famille de l’artiste (est. 30 000 - 50 000 euros).
« Arts décoratifs et sculptures du XXe siècle », vendredi 24 mai 2024, Ader, Hôtel des ventes de Drouot, 75009 Paris. www.ader-paris.fr.
La galerie Leloup de retour… à Drouot
Le succès d’une vente aux enchères repose sur une trinité qu’il n’est peut-être pas inutile de rappeler en ce lendemain de Pentecôte : la qualité de l’objet, son état de conservation et son estimation. C’est sans doute cette dernière partie de l’équation qui a dû doucher les espoirs de Sotheby’s et des ayants droit d’Hélène Leloup, figure incontournable du monde des arts premiers, disparue en novembre 2023. La vacation, organisée par la maison de ventes anglo-saxonne l’an dernier à Paris, devait être le premier acte de la consécration de cette galeriste légendaire chez qui les collectionneurs (dont Matisse ou Nelson Rockefeller) se précipitaient, dès 1954, dans son espace parisien du 90, boulevard Raspail. Hélas, les résultats ont été en demi-teinte – 8,3 millions d’euros récoltés sur les 12 attendus et la pièce phare de la vente, une tête de reliquaire Fang du Gabon (estimée de 3 à 4 fois trop cher selon certains spécialistes, lire notre compte rendu du 23 juin 2023) est restée invendue. Ce revers a conduit Sotheby’s à suspendre sine die la dispersion de la seconde partie de la collection prévue en 2024 à New York. La maison de ventes Giquello reprend donc le flambeau à Drouot. L’expert d’art africain et célèbre marchand Bernard Dulon a pu négocier des prix beaucoup plus attractifs avec la famille. En témoigne ce sommet de reliquaire Fang, ancienne collection de Jacques Kerchache, estimé entre 20 000 et 25 000 euros ou cette statuette féminine dogon (Mali) présentée en 2011 lors de l’exposition « Dogon »au musée du quai Branly à Paris, estimée, elle, entre 30 000 et 40 000 euros. À noter l’estimation de la statue anthropomorphe Mbembe présentée lors de la vente Sotheby’s a été revue à la baisse, à 20 000 - 30 000 euros. Contre de 150 000 à 250 000 euros en 2023…
« Galerie Hélène Leloup - 9, rue Malaquais », vendredi 24 mai 2024, Giquello, Hôtel des ventes de Drouot, 75009 Paris, www.Giquelloetassocies.fr