Quoi de mieux, avant de découvrir l’œuvre d’un architecte entre les lignes, que de l’appréhender entre ses murs ? C’est la bonne idée qu’ont eue les Éditions du patrimoine en dévoilant cet ouvrage consacré à Jean Renaudie (1925-1981) – sous-titré Architecte de la complexité –, dans un appartement de son projet phare : l’immeuble Danielle-Casanova, en plein cœur d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), achevé en 1972 et classé monument historique en 2021. Car déambuler dans cet espace au plan en étoile permet d’expérimenter, physiquement, cette « complexité » chère à Jean Renaudie, laquelle génère une multitude de terrasses plantées et autant de baies vitrées baignant le lieu de lumière naturelle et de vues variées. « Il faut essayer de produire le maximum de solutions d’architecture, aussi diversifiées que possible, de manière à ce que les occupants futurs trouvent “le” support convenable à leur imagination et à leur créativité », déclara l’architecte en 1977, année suivant la livraison du chantier. Un an plus tard, il décrochera le Grand Prix national d’architecture.
Philosophie stellaire
Une étoile ? Effectivement, nul ne peut se démarquer davantage de l’organisation spatiale parallélépipédique des immeubles collectifs des années 1970. Jean Renaudie préfère étirer l’espace intérieur, ce qui lui permet d’imaginer des appartements tous différents, plutôt qu’une habitation identique se répétant de bas en haut. Ainsi en est-il de ce centre-ville d’Ivry, première concrétisation de ses principes, dans lequel l’architecte distillera, en outre, quantité de « promenées piétonnes » destinées à relier logements, lieux de travail, écoles, commerces et autres services. Ce projet emblématique, qui prit forme de 1968 à 1982, est évidemment décortiqué à l’envi dans la présente monographie.
Non sans cacher son rêve de pouvoir matérialiser une certaine utopie sociale, Jean Renaudie essaime ensuite sa philosophie stellaire sur le flanc d’une colline de Givors (Rhône), avec la cité des Étoiles érigée entre 1974 et 1981. À Saint-Martin-d’Hères (Isère), il corse même le programme en mêlant, cette fois, habitations collectives et maisons individuelles.
La « complexité » pour Jean Renaudie, ce sont surtout les relations entre les gens et entre les éléments, qu’en fieffé dessinateur, il formalise avec tout ce que lui autorise la représentation, en ce temps, manuelle : esquisses ou schémas d’aménagement, études d’implantation, plans et coupes... L’ouvrage en regorge. Il met également en regard maquettes et campagnes photographiques, d’époque ou contemporaines, et passe en revue ses principales réalisations, à l’instar du groupe scolaire des Plants (1970-1972), une « ruche multicolore » ancrée à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), l’une de ces villes nouvelles alors vantées comme « terres d’innovation architecturale ». Sa carrière est à l’image de cette décennie 1958-1968 traversée auprès de ses confrères Pierre Riboulet, Gérard Thurnauer et Jean-Louis Véret, au sein du fameux Atelier de Montrouge, dont l’expérience fut proche de ses réflexions sociales et formatrice en matière d’urbanisme.
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1* Les dernières publications en français dédiées à Jean Renaudie datent du début des années 1990 et sont épuisées.
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Serge Renaudie et Olivier Cinqualbre, Jean Renaudie. Architecte de la complexité, Paris, Éditions du patrimoine, 2024, 200 pages, 25 euros.