Située entre Toulon et Aix-en-Provence, la Commanderie de Peyrassol associe vignoble et art contemporain. Des œuvres d’artistes internationaux (Daniel Buren, Anish Kapoor, Michelangelo Pistoletto) y sont exposées en permanence sur le domaine, entre garrigue et forêt, ou à l’intérieur, dans un bâtiment aménagé en centre d’art. Chaque été, le collectionneur et propriétaire des lieux, par ailleurs homme d’affaires, Philippe Austruy, invite un artiste pour une exposition personnelle. Cette année, il s’est adressé à un ami de longue date : Bertrand Lavier.
À cette proposition, le septuagénaire a répondu par un parcours en oblique de son œuvre sur l’un de ses thèmes d’élection : la couleur. « La couleur traverse mon travail depuis longtemps, confie-t-il. Au Castello di Rivoli en 1996, j’avais imaginé une “salle rouge”. J’utilise souvent des termes liés à la couleur dans les titres. L’une de mes premières peintures en 1974 est Rouge géranium par Duco et Ripolin. J’en présente ici une version de 1994, Mandarine par Duco et Ripolin, en tandem avec une Inclusion beaucoup plus récente. J’ai intitulé l’exposition “En couleur” au singulier parce que j’emploie le terme au sens générique. Si j’avais dit “en couleurs”, on répondrait “Et alors ?”, car toutes les expositions sont en couleurs. Un titre doit éclairer comme un spot. En outre, j’aime les couleurs. Je suis très attaché à la richesse visuelle. »
Le sens du rebond
Revisitant le travail de Bertrand Lavier sur près de quarante ans, cette fête de la couleur s’ouvre sur deux pianos dont l’un (Bechstein, 2013), peint en noir, appartient à la catégorie des objets repeints dans leur couleur d’origine, et l’autre (Steinway, 2019), rose et violet, emprunte ses couleurs au fauvisme.
Ces deux pièces sont emblématiques de la démarche de l’artiste ; elles témoignent de son goût étourdissant du jeu et mettent en évidence son art du rebond permanent.
Le point d’orgue, le « clou » de l’exposition, est précisément un vieux clou de voiture – une Dauphine des années 1950 trouvée abandonnée et rongée par la rouille dans un fourré à l’entrée de la Commanderie. Bertrand Lavier a confié l’épave à un carrossier qui l’a habillée d’une peinture bleue somptueuse, et transformée en un objet rutilant, oscillant entre l’éclat du neuf et la vétusté de l’ancien. On pense à la Ferrari rouge, autre œuvre du chantier des « ready-made destroyed », remarqué à la Bourse de commerce dans l’exposition « Le Monde comme il va 1* ». Mais l’artiste corrige : « Les deux objets racontent des histoires différentes. La Dauphine est une icône populaire nationale, la Ferrari fait rêver les deux tiers de la planète. La Dauphine, on l’a vue dans des films en noir et blanc, je la passe en couleur, avec une peinture à contre-emploi. Le carrossier n’avait jamais fait une chose pareille. Elle est là comme au Salon de l’auto. J’ai le souci d’utiliser des objets qui résonnent avec le lieu. Celui-ci est visité par des gens qui ne connaissent pas forcément l’art contemporain. La Dauphine, c’est ma manière d’être in situ. De même en ce qui concerne les Inclusions : j’emploie des petits tableaux très ordinaires, trouvés sur Internet, que je place dans un matériau qui les magnifie. Je les sauve à mon niveau. Pour La Dauphine, la rédemption vient de la couleur, pour les Inclusions, du verre acrylique. C’est une démarche assez optimiste, au fond. »
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1* « Le Monde comme il va », 20 mars - 2 septembre 2024, Bourse de commerce - Pinault Collection, Paris.
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« Bertrand Lavier. En couleur », 1er avril - 3 novembre 2024, Commanderie de Peyrassol, chemin de Peyrassol RN7, 83340 Flassans-sur-Issole.