Not Vital : Contemplating
Au cœur de « Contemplating », la nouvelle exposition de Not Vital, figure une nouvelle série de grands tableaux dits autoportraits. Mais l’entrée dans le monde de cet artiste commence par la présentation de deux sculptures évoquant l’Engadine [en Suisse], son pays d’origine et principal lieu de résidence. D’un côté, c’est une fontaine de bronze en forme d’arbre sec et nu, de l’autre la représentation de Piz Lagrev par un tas de plâtre posé sur une commode traditionnelle. Entre ces deux évocations se tient, suspendu à 50 cm du sol, Nijinsky en bronze éclatant. En 1939, on avait tenté de faire sortir Nijinsky de son enfermement psychotique. Le seul résultat fut de le faire lever de sa chaise pour un ultime saut. La sculpture inspirée de la photo de cet événement fait du génial danseur une sorte de figure sainte de l’art.
Les autoportraits sont peints sur de grands formats verticaux. Ils sont protégés par une vitre qui, pour l’artiste, marque leur achèvement. Il s’agit d’une figure unique ou de deux ou trois figurations du même sujet. Ce sont de simples ovales formés par accumulation de touches de couleurs, avec un trait vertical au centre. Certains sont des taches d’ombres et d’autres de véritables flammes, il en est même de blancs sur fond blanc. Not Vital dit penser de plus en plus à Rothko dans la façon dont il rapproche une couleur d’une autre.
À l’étage de la galerie, outre des plaques de marbres qui nous ramènent au paysage, on découvre une série de collages. Ils sont faits avec des éléments très ordinaires, très intimes aussi, fixés par de larges bandes d’adhésif noir très graphiques. Comme Not Vital dit avoir eu la révélation de l’art devant Schwitters, cette exposition semble dessiner aussi un portrait de l’artiste.
Du 31 mai au 27 juillet 2024, Thaddaeus Ropac, 7, rue Debelleyme, 75003 Paris
Sonia Gomes : …vivem no compasso do sol
Célébrée dans le monde entier, mais encore mal connue en France, l’artiste brésilienne Sonia Gomes travaille principalement avec des tissus usagés. Ces derniers lui sont apportéspar des gens. Les tissus industriels lui fournissent une palette de couleurs et les tissus artisanaux la sollicitent davantage par les gestes qu’ils contiennent et ce qu’ils lui racontent. Elle déchire, tord, coud, ligature ces pièces qui lui ont été confiées, pour créer des sculptures, des objets et des tableaux-reliefs. Rien n’est dissimulé du travail et les coutures sont bien visibles pour marquer sa volonté de réécriture. Sonia Gomes a déclaré que son art était « noir, féminin, marginal » et se voit comme une rebelle. Les œuvres de la série Pendentes, sculptures suspendues, évoquent aussi bien la forêt que des réalités plus dramatiques et le souvenir de l’esclavage, tandis que les Torcão (torsions) restent au plus près de la réalité concrète d’une action simple. Pour souligner la plasticité de certains de ses ballots de toiles, l’artiste les a enrichis de pièces de bronze et en a disposées sur des blocs de bois brut.
Dans la série des Tear, elle dessine une voie entre le tableau-objet surréaliste et l’abstraction. Ce sont des cadres-boîtes ou de simples châssis qui recueillent les vêtements déchirés, avec des pièces de dentelles tendues par-dessus eux. À travers une approche quasi chamanique de la fripe, Sonia Gomes fait entendre de nombreuses voix enfouies et autant d’inventées.
Du 5 juin au 27 juillet 2024, Mendes Wood DM, 25, place des Vosges, 75004 Paris
Ryan Gander : Three Young American Artists
« Three Young American Artists » : par ce titre, Ryan Gander souligne le polymorphisme de sa production artistique et interroge sa capacité à se renouveler. Rien ne nous dit s’il parraine les efforts de ces trois jeunes, ou bien s’il se cache derrière eux comme derrière des doubles. Ce n’est qu’un titre, et trouvé probablement dans l’instant, mais un rythme ternaire marque l’exposition.
Trois tableaux portent en blanc sur fond noir un nom de ville ou un thème : Basel, Nice, Sunset. Ce sont des titres-index tracés sur des diapositives par le père de l’artiste dans les années 1960. Trois tableaux, un rouge, un bleu, un vert à la peinture de carrosserie, reproduisent des « marques d’action » empruntées à Tintin. Trois reliefs en acier inoxydable sont les empreintes de trois portes vues à Londres, New York et Paris et où se mêlent signes d’interdiction et tags. On reconnaît des stratégies propres au pop ou à l’art conceptuel actualisées avec un trait d’ironie. C’est, derrière le refus de l’image, la biographie qui s’impose avec l’écriture du père ou c’est la poétique de la ville qui disparaît sous le clinquant de l’inox. La marionnette animée d’un Gander somnolent contre un sac-poubelle sert de note en bas de page.
Trois dates en bronze dans trois fontes historiques jalonnent l’exposition : 1513-1981-2026. C’est le temps long de l’histoire de l’art. Face à ce temps-là, on a basculé à la verticale une horloge digitale et lumineuse qui superpose deux cadrans. On n’y voit que des zéros ou que des huit (on ne peut que mal lire).
Du 6 juin au 26 juillet 2024, Mennour, 47, rue Saint-André-des-Arts, 75006 Paris
Cooper Jacoby : The Living Substrate
Cooper Jacoby construit des œuvres qui se transforment, évoluent et mettent en évidence les systèmes régulant les relations humaines et la mécanique sociale. Il utilise volontiers des capteurs et des thermostats. Cette fois, il a eu recours à l’I.A. [intelligence artificielle] pour fabriquer des discours ou des sortes de poèmes à contrainte que récitent des voix mécaniques. La première sculpture à s’adresser à nous ressemble à un paravent à trois volets doté d’un haut-parleur d’interphone et d’une caméra dôme. Elle nous tient sous son regard et débite un monologue fait de chatbots arrangés. C’est le Hal 9000 de Kubrick ressuscité et nous assommant d’histoires à dormir debout.
En montant à l’étage, nous trouvons une série d’Estates, conçues sur un principe voisin. Il s’agit cette fois d’armoires métalliques de vestiaires dans différents formats, également équipées de fausses caméras dômes et de haut-parleurs. Ces armoires sont percées sur le devant et sur les côtés d’orifices dont les parois débordantes imitent la texture des tripes. Certaines ont des cadenas numériques qui tournent et se bloquent sur des combinaisons chiffrées en rapport, suppose-t-on, avec les messages diffusés.
Pour ajouter à la complexité, Cooper Jacoby a conçu trois horloges dont le cadran est un miroir convexe et les aiguilles deux dents humaines. Le mouvement de chacune correspond au vieillissement accéléré ou ralenti de trois individus vivants dont le vieillissement biologique est en décalage avec le temps calendaire.
Cette combinaison de sophistication technicienne et d’invention plastique est d’une inquiétante séduction.
Du 5 juin au 20 juillet 2024, Fitzpatrick Gallery, 123, rue de Turenne, 75003 Paris