L’ambition de la commissaire Sixtine de Saint Léger, aux commandes du musée Cognacq-Jay, à Paris, depuis plus de dix-huit mois – absence, puis départ de Pascal Faracci obligent –, était d’éclairer le foisonnement créatif et la diversité des matières d’artistes remarquables, souvent confidentiels. Des collections royales anglaises aux fonds du musée du Louvre, du château de Versailles ou des Arts décoratifs, à Paris, des vitrines de la galerie parisienne Kugel à celles de la maison Fragonard, le musée a opéré une sélection de pièces qui complète ses propres collections, tout en permettant de balayer l’intégralité des les facettes du domaine. Aussi, et c’est justement un des atouts qui apportent tant d’intérêt à l’exposition « Luxe de poche », un ensemble d’œuvres d’art et d’objets éclairent le sujet. L’un des plus attirants est d’ailleurs le Modèle d’un atelier de tabletier-garnisseur du musée des Arts et Métiers, à Paris, une remarquable maquette. Il était presque impossible de se priver des tabatières ornées de diamants et de pierres précieuses de la collection Rosalinde et Arthur Gilbert, aujourd’hui en prêt au Victoria and Albert Museum, à Londres, la plus célèbre et riche de toutes. Au total, près de 300 pièces invitent le visiteur à se plonger dans un univers intimiste. Et, sans même être un connaisseur, il suffit de laisser peintres et graveurs, dont les œuvres sont présentées en regard, nous guider…
DES OBJETS OUBLIÉS
La Mauvaise Nouvelle (1804, musée du Louvre), huile sur toile de Marguerite Gérard fort bien exposée au musée Cognacq-Jay, met en scène une jeune femme bouleversée par la lecture d’un billet au point de perdre connaissance. Son amie lui fait respirer des sels grâce à un petit flacon aussi raffiné que ses bijoux. À l’occasion du Salon de 1804, l’un des critiques s’était ému du sujet : « On dit d’une personne dont les forces et les facultés intellectuelles s’affaiblissent progressivement, quoiqu’avec rapidité par l’effet du ralentissement de la circulation si cet effet plus lent est celui qui précède l’instant de l’extinction totale du principe de vie, on dira de cette personne qu’elle est environnée des ombres de la mort, que ses yeux sont chargés du mage de la mort, métaphores pleines de poésie, mais dont les images claires et précises pour l’esprit ne sont pas de matière à être présentées aux yeux; c’est pourtant ce que mademoiselle Gérard a osé entreprendre, ou peut être ce qu’elle a fait, sans y penser, dans son tableau. » Tandis que des milliers de jeunes Français œuvrent sur les champs de bataille pour le rayonnement des messages politiques français – le frère de Marguerite Gérard est de ceux qui meurent cette année-là –, des milliers de Françaises s’équipent de petits flacons pour se préparer à recevoir les plus sombres nouvelles. Depuis plusieurs décennies déjà, ces objets les accompagnent sans cesse, au même titre que les tabatières – le tabac était prisé mais pas brulé – ou les châtelaines – les montres n’étaient pas portées aux poignets, mais suspendues à une chaîne. Que les artisans aient rivalisé d’ingénuité et de dextérité pour proposer aux plus fortunés des exemplaires d’une remarquable originalité relevait de l’évidence. La fragilité, la préciosité des métaux employés et le passage du temps ont en partie plongé dans l’oubli ces objets, lesquels ne sont pas toujours aisés à présenter – la scénographie et l’éclairage choisis par le musée Cognacq-Jay sont à ce titre idéaux.
En parcourant les salles du rez-de-chaussée et du premier étage de l’hôtel Donon, il est étonnant de découvrir combien l’inventivité d’un grand nombre des pièces exposées est liée au contexte politique et culturel de leur temps. En empruntant la Vue de la cellule du baron de Besenval à la prison du Châtelet (1789-1790) par Hubert Robert au musée du Louvre, la commissaire rappelle à juste titre qu’une simple tabatière, « accessoire intime devient ainsi presque une personnification de son propriétaire », celui-ci étant d’ailleurs absent de la composition. La tabatière en forme du cercueil, prêtée par le Victoria and Albert Museum et datée de 1792, est là aussi pour dire combien, même pendant les périodes les plus sombres, les artistes étaient invités à se surpasser pour des amateurs qui aimaient autant les facéties que l’inventivité. Les objets rendent également comptent d’épisodes plus joyeux comme le couvercle de tabatière représentant l’Expérience du globe aérostatique de MM. Charles & Robert au Jardin des Tuileries, le 1er décembre 1783 (Paris, musée Carnavalet).
INTIMITÉ ET PRÉCIOSITÉ
La poésie de l’exposition réside en réalité dans les dizaines d’histoires intimes dont nous ne pouvons qu’imaginer quelques bribes en lisant sur les œuvres : « À la plus Fidelle [sic]/Par tout/où elle se trouve », « Elles sont toutes à vous » ou « Le monde est » sur une boîte ronde. Ces boîtes reflètent l’engouement pour des compositions célèbres d’une kyrielle d’artistes non moins célèbres, et rien n’est plus amusant de découvrir sur celles-ci les reproductions miniatures de gravures d’après tableaux d’Antoine Watteau, François Boucher, Jean-Baptiste Greuze ou encore Jean-Honoré Fragonard.
Les subtils changements du goût et surtout le rapport aux proportions sont aussi de véritables leçons. Dans l’architecture et les arts décoratifs, l’intérêt parisien pour le petit à la fin des années 1780 est bien connu, mais rarement peut-être une exposition aura autant mis en lumière la pléthore de matériaux utilisés pour ces objets infiniment petits et infiniment luxueux. La nacre, les différents coloris de l’or, l’émail, les coquillages, les pierres dures, la labradorite, l’agate, les plumes, le jaspe, la néphrite, la cornaline, l’ivoire… offrent une symphonie de couleurs aussi réjouissante que la fraîcheur des peintures sur porcelaine – presque seul support peint sur lequel il est possible d’admirer des palettes qui ne sont pas altérées depuis le XVIIIe siècle et sur lequel notre regard est identique à celui de ses premiers propriétaires. Devant les pommeaux de canne, flacons à parfum, nécessaires à broder, boîtes à mouches, drageoirs, bonbonnières, il est aussi permis de songer à l’évolution des modes, des pratiques et des désirs. Sixtine de Saint Léger cite justement les mémoires de Giacomo Casanova : « Je visite ses poches : j’y trouve tabatière d’or, bonbonnière enrichie de perles fines, étui d’or, lorgnette superbe, mouchoirs de batiste de la plus grande finesse, imbibés plutôt que parfumés des plus précieuses essences; enfin je trouve un pistolet : c’était un briquet anglais d’un acier pur et du plus beau fini. »
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« Luxe de poche. Petits objets précieux du siècle des Lumières », 28 mars-29 septembre 2024, musée Cognacq-Jay, 8, rue Elzevir, 75003 Paris.