Bill Viola, artiste extrêmement influent qui, au cours des 45 dernières années, avec sa femme et proche collaboratrice Kira Perov, a érigé l’art vidéo en une forme d’expression puissante et exigeante, est décédé à l’âge de 73 ans. L’artiste a repoussé les limites dramatiques et philosophiques de la vidéo en tant que genre et, par son approche réfléchie, sincère et imaginative, en a transformé la perception par la critique et les spectateurs.
« L’utilisation de la vidéo et du film – l’image en mouvement –, un médium que nous considérons tous comme acquis, pour sonder les profondeurs de l’émotion humaine, sera la contribution durable de Viola à l’histoire de l’art », a déclaré le galeriste new-yorkais James Cohan, qui le représentait depuis 1992. Selon le galeriste, sa rencontre avec le travail de Bill Viola au Museum of Modern Art de New York (MoMA) en 1987 et lors de la Documenta de Cassel en 1992 l’avait laissé « stupéfait par sa capacité à marier la technologie à une poétique profondément ressentie, qui abordait l’expérience essentielle de la vie et de la mort ». Et d’ajouter : « Le travail de Bill s’adresse autant au spectateur averti qu’au non-initié ».
« L’intensité et le caractère direct de son appel aux émotions ont fait de lui l’un des rares artistes contemporains à être véritablement populaire auprès d’un large public », a écrit Sarah Crompton dans The Art Newspaper en 2019, au moment où 12 œuvres de Bill Viola avaient été mises en dialogue avec 14 dessins de Michel-Ange à la Royal Academy of Arts de Londres. En 2006, l’exposition « Hatsu-Yume » (Premier rêve) de Bill Viola au Mori Art Museum de Tokyo avait attiré plus de 340 000 visiteurs. En 2017, une rétrospective d’œuvres allant de 1976 à 2014 présentée au Guggenheim Bilbao en Espagne avait enregistré 710 995 visiteurs.
The Greeting (1995) de Bill Viola a été la première œuvre vidéo à entrer dans la collection du Metropolitan Museum of Art de New York, 25 ans après le début du travail de l’artiste dans ce médium et 12 ans après le lancement du caméscope portable de Sony en 1983, qui a permis l’adoption massive de ce format. En 2002, la Tate de Londres, le Whitney Museum de New York et le Centre Pompidou de Paris ont acquis conjointement sa pièce Five Angels for the Millennium (2001).
Les œuvres de maturité de Bill Viola, réalisées au cours des trois dernières décennies, se concentrent sur les éléments (le feu et l’eau en particulier), sur les questions de la vie et de la mort, et présentent des acteurs dans des passages au ralenti et en haute définition qui produisent des effets captivants qui incitent à la réflexion. « La vidéo est méditative parce qu’il s’agit d’un vecteur étroit centré sur une seule chose, que l’on peut utiliser comme un laser, comme une radiographie pour aller à l’intérieur », a déclaré Bill Viola à The Art Newspaper en 2006. « Il s’agit de voir en profondeur, de ne pas s’arrêter à la surface », ajoutait-il. L’artiste poursuivait : « Par nature, j’ai toujours été porté à ralentir les choses, par désir de les voir plus complètement, d’arrêter le désordre et le flot agité d’éléments qui vous arrivent constamment, afin que vous puissiez vous sentir vivre, penser, respirer. » L’artiste est arrivé à ses fins lorsque le Grand Palais à Paris a organisé sa plus grande rétrospective à ce jour, en 2014 : une enquête auprès du public a révélé que les visiteurs avaient passé en moyenne deux heures et demie dans l’exposition.
Bill Viola commençait souvent par travailler à partir de croquis – avec un accent récurrent sur l’eau en tant que contenant pour l’immersion, la purification ou la suspension (du temps et de l’espace) – et menait des recherches approfondies, basées sur des textes, souvent dans le bureau très rempli, tapissé de livres, de la maison qu’il partageait avec Kira Perov à Long Beach, en Californie. « Tout n’est que questions, il n’y a pas de réponses », avait déclaré Kira Perov à The Art Newspaper en 2019. « Une seule ligne du poète Rumi [auteur persan du XIIIe siècle], ou une peinture particulière de la Renaissance, peut inspirer une image ou une pièce entière. Bill apprend de ses expériences ou de ses lectures. Ces questions n’appartiennent ni à Bill ni à moi, elles appartiennent à tout le monde ». Bill Viola a souvent cité Rumi comme source d’inspiration. Il en va de même pour le poète et artiste William Blake et les maîtres espagnols Diego Velázquez et Francisco de Goya.
Dans le même entretien accordé en 2006 à The Art Newspaper, Bill Viola avait évoqué les deux années de préparation nécessaires à « Love/Death », présentée à la galerie Haunch of Venison, à Londres, pour laquelle il a retravaillé des éléments d’une production de Tristan und Isolde de Richard Wagner, datant du XIXe siècle (le metteur en scène Peter Sellars a ensuite développé l’opéra pour le Walt Disney Concert Hall de Los Angeles, puis pour l’Opéra Bastille à Paris). Viola a expliqué à The Art Newspaper comment, pour se préparer, il a transcrit des sources telles que « des mythes du Moyen Âge, du tantra, des concepts soufis… 20 pages que j’ai copiées à partir de ce texte sur le Livre des morts tibétain », qui sont mélangées à des esquisses qui éclairent l’esprit. « Ensuite, ce qui se passe généralement, c’est que les dessins prennent plus de place et que l’écriture s’efface, alors je commence à faire des tableaux qui répertorient tous les éléments visuels possibles ».
En 1995, Bill Viola avait été choisi pour représenter les États-Unis à la Biennale de Venise. L’une des œuvres qu’il a présentées était The Greeting (1995), librement inspirée de l’étonnante Visitation de Carmignano du Pontormo (vers 1528-1530) – une peinture qui dépeint la scène de l’Annonciation au cours de laquelle la jeune Vierge Marie, enceinte de Jésus, est accueillie par sa cousine plus âgée, Élisabeth, enceinte de Jean-Baptiste. Bill Viola a toujours insisté sur le fait qu’il n’était jamais intéressé par la « reconstitution » des maîtres anciens dans son travail, mais par « ce qui se passe lorsque ces images entrent en nous ». Il a également déclaré, à propos de son travail sur l’iconographie chrétienne, que les Chrétiens n’étaient pas propriétaires de la signification de ces images. « Ce sont des éléments de la vie humaine, de l’existence humaine qui ont été utilisés par toutes les grandes traditions [religieuses et culturelles] de la planète depuis le début des temps. Ces formes élémentaires ont été intégrées dans ce système. C’est notre mode de fonctionnement ».
The Greeting a été tourné en 45 secondes à 300 images par seconde et a été diffusé pendant 10 minutes et 22 secondes, au ralenti. « Lorsque je suis allé voir The Greeting, quelque chose a changé en moi, a déclaré en 2012 John Walsh, directeur émérite du J. Paul Getty Museum. Cela se passe dans un ralenti extrême, de sorte que vous voyez quelque chose qui n’est ni tout à fait une image fixe, ni tout à fait un film. Et cela vous donne la possibilité de regarder et de sentir les relations changeantes entre les personnages, ce qu’une peinture ne vous permet pas de faire de la même manière. »
L'œuvre Tristan's Ascension fait partie de la Biennale de Bonifacio, en Corse, jusqu'au 2 novembre 2024.