Il n’y a pas de monde achevé. Ce titre d’un tableau d’André Masson (1896-1987) pourrait résumer à lui seul les profondes obsessions du peintre, en proi à d’incessantes métamorphoses. Moins réputé que les figures majeures du surréalisme, André Masson occupe cependant une place essentielle dans le panthéon artistique du xxe siècle qu’il marque d’une empreinte durable. Ses expérimentations et inventions sont nombreuses, qu’il s’agisse du dessin automatique (1923), des tableaux de sable (1927) ou bien d’une abstraction gestuelle et sensible, qui n’abandonne jamais la volonté d’exprimer l’humain et le monde, enchevêtrés dans ses œuvres. Près d’un demi-siècle après les rétrospectives que lui ont consacrées le Museum of Modern Art, à NewYork, et le Grand Palais, à Paris, le Centre Pompidou-Metz rend un brillant hommage à ce « rebelle » parmi les surréalistes, à travers 300 peintures, dessins, sculptures et livres illustrés, au gré d’un parcours à la fois chronologique et thématique, où la « ligne errante » d’André Masson – pour reprendre les mots de Gertrude Stein – se matérialise dans le dessin même des cimaises. S’y trace la trajectoire singulière d’un peintre engagé, tributaire des conflits secouant l’Europe, à commencer par la Première Guerre mondiale où le peintre, grièvement blessé, ressent l’horreur dans sa chair.
Une œuvre polymorphe
De retour à Paris au début des années 1920, il conçoit des œuvres qui s’apparentent au cubisme, tout en introduisant des éléments symboliques, ce qui lui vaut un contrat chez Daniel-Henry Kahnweiler. Installé rue Blomet, dans le 15e arrondissement, il partage son atelier avec Joan Miró, nouant également de fructueuses complicités avec Michel Leiris, Antonin Artaud et Georges Limbour. La reconstitution partielle de sa bibliothèque en témoigne, dévoilant toutes ses afinités. Doté d’une grande culture littéraire et philosophique, André Masson lit le Marquis de Sade, Friedrich Nietzsche, les romantiques allemands, mais aussi les présocratiques, autant de textes et d’auteurs fabriquant définitivement son style et sa pensée. Sur ses toiles émerge une prolifération de lignes et de formes entremêlées, toutes dévorées par un chromatisme audacieux, où semblent s’épancher les blessures.
En 1929, une première rupture avec André Breton le rapproche de Georges Bataille, dont il illustrera seul la revue Acéphale. À la même époque, il entreprend les dessins de Massacres et de Sacrifices, jouant d’une ligne étonnamment agile et incisive. En Espagne, où il séjourne longuement et participe à la guerre civile en réalisant des caricatures antifranquistes, sa peinture se modifie, à la suite de la découverte des fiévreux paysages ibériques et particulièrement de la corrida : elle devient manifestation d’un esprit « dyonisiaque », attentif aux liens entre Éros et Thanatos, à la présence active de la mort dans les tréfonds de la vie.
Aux États-Unis, où il s’exile de 1941 à 1943, son œuvre atteint un point d’orgue qui influencera durablement Jackson Pollock et la génération de l’expressionnisme abstrait. Avec de constantes références à la mythologie - Pasiphaé, le Minotaure, Gradiva, Thésée –, sa peinture reste fidèle à la fertile imagination de ses obsessions : omniprésence du sexe et de l’érotisme, de la cruauté et de la violence ; attachement aux excès de l’existence. L’œuvre, à la hauteur de cette démesure, ne révèle sans doute que celle de la vie elle-même.
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« André Masson. Il n’y a pas de monde achevé », 29 mars - 2 septembre 2024, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des droits-de-l’homme, 57020 Metz.