Comment est né ce projet d’une rétrospective bretonne d’Henri Cartier-Bresson ?
Le Fonds Hélène & Édouard Leclerc nous a approchés par l’intermédiaire de la société Manifesto avec cette idée d’organiser une importante exposition sur Henri Cartier-Bresson, s’inscrivant dans la lignée de celles réalisées sur des artistes comme Marc Chagall, Pablo Picasso ou Alberto Giacometti. Cela nous a semblé judicieux, puisque l’on retrouve souvent cette parenté chez le photographe.
Quand, par exemple, le critique et éditeur Tériade lance sa collection d’ouvrages sur de grands créateurs du XXe siècle, Henri Cartier-Bresson avec son livre Images à la Sauvette [1952] côtoie ces mêmes artistes. Du reste, une des ambitions de la Fondation est de montrer son œuvre dans des pays ou régions où elle ne l’a pas été. La Bretagne en faisait partie.
L’exposition regroupe plus de 300 clichés retraçant une carrière longue de soixante-dix ans. Comment avez-vous imaginé le parcours ?
L’exposition est chronologique et organisée en vingt-trois grands moments : le surréalisme, le voyage au Mexique, la guerre et l’après-guerre, la Chine de Mao… Ces sections sont rythmées par des portraits d’Henri Cartier-Bresson en train de photographier. Il me semblait important que sa figure soit présente pour montrer qu’il n’y a pas un, mais plusieurs Henri Cartier-Bresson : le « jeune homme aux joues roses » ainsi qu’on l’appelait à sa période surréaliste, n’est pas le même que celui qui s’engage en politique auprès des communistes ou que celui qui arrête la photographie pour se mettre au dessin. Quelle meilleure manière pour incarner ces multiples visages que de présenter des clichés au fil desquels on l’observe changer.
Henri Cartier-Bresson avait pourtant en horreur d’être photographié…
Ce n’était pas par coquetterie, il voulait tout simplement pouvoir photographier anonymement et ne pas être reconnu pour ce qu’il était : le photographe le plus connu de son époque. On ne réalise pas aujourd’hui qu’Henri Cartier-Bresson a été une sorte de pop star de la photographie dès la fin des années 1950. C’est à la naissance de cette célébrité qu’il refuse d’être photographié. Dans les années 1930-1940, il aimait se faire portraiturer par ses amis. J’avais à cœur d’interroger ce rapport d’Henri Cartier-Bresson à sa propre image.
Le catalogue de l’exposition *1 s’ouvre sur un texte inédit de Marie NDiaye dans lequel celle-ci livre son regard d’auteure sur le processus créatif du photographe. Qu’est-ce qui a guidé ce choix ?
Dans les livres d’Henri Cartier-Bresson, on observe une tradition qui s’est quelque peu perdue ensuite, celle d’inviter des écrivains à imaginer un texte pour accompagner ses images. J’avais envie de renouer avec cela en faisant appel à une figure littéraire contemporaine, et qui soit féminine, puisque jusqu’ici la littérature sur son œuvre était plutôt masculine. Il se trouve que, dans les années 1990, Marie NDiaye avait écrit sur sa fameuse photographie de Léonor Fini [Léonor Fini et André Pieyre de Mandiargues, Italie (1933)] pour un numéro spécial de Télérama. Le photographe avait apprécié ses mots et lui avait envoyé le cliché dédicacé en remerciement. J’aime beaucoup son texte pour le catalogue, la manière dont elle parle de l’écriture résonne tout à fait avec celle, photographique, d’Henri Cartier-Bresson.
D’où vient la puissance de ses photographies ?
Elle réside dans sa capacité à produire des images qui résument des situations. Par exemple, la capture de la Foule attendant devant une banque pour acheter de l’or pendant les derniers jours du Kuomintang (Shanghai, 1948) paraît de prime abord assez énigmatique. Plutôt que de dire immédiatement ce qu’il se passe, le cliché est une représentation symbolique de ce moment historique où la Chine traditionnelle bascule vers le communisme. Les photographies d’Henri Cartier-Bresson sont souvent très belles et bien composées, mais elles ont aussi un sens.
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*1 Clément Chéroux (dir.), Henri Cartier-Bresson, Landerneau, Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la culture, 2024, 315 pages, 39 euros.
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« Henri Cartier-Bresson », 15 juin 2024-5 janvier 2025, Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la culture, Aux Capucins, 29800 Landerneau.