C’est une première, en France, pour une institution publique, depuis l’ouverture en 2019 du Mo.Co Montpellier Contemporain. C’est aussi et surtout inédit pour ce département de l’Ardèche : son premier centre d’art contemporain a été inauguré le 6 juillet 2024, à Aubenas. L’événement est double, car l’institution vient se loger dans le château, édifice le plus emblématique de la ville qui a, pour l’occasion, été entièrement rénové. Entérinés en 2016 par la municipalité albenassienne, la réhabilitation du monument, qui hébergea notamment, au XIXe siècle, le tribunal d’Aubenas, et sa métamorphose en centre d’art contemporain ont été confiés à l’agence d’architecture lyonnaise Archipat. Les travaux ont commencé l’année suivante. « Ce château est, en réalité, constitué d’une accumulation d’ajouts historiques : un donjon du XIIIe siècle, une aile érigée entre les XVe et XVIe siècles, des toitures à fortes pentes et tuiles vernissées, d’inspiration bourguignonne, ajoutées au XVIIe siècle, enfin, un grand escalier d’honneur et des salons avec murs colorés et plafonds en staff conçus au XVIIIe siècle, raconte Laurent Volay, co-fondateur d’Archipat. Nous avons dû, avant tout, effectuer un grand "nettoyage", comme remettre à jour une cour intérieure qui avait été obturée ou retirer des planchers ou des parois ajoutés au fil du temps, pour retrouver le volume global. »
Une première phase de travaux de deux ans a été nécessaire pour rénover l’enveloppe extérieure, façades et toiture, puis une seconde de quatre ans pour réhabiliter tout l’intérieur avec, entre ces deux périodes, une interruption d’une année, en 2020, pour cause de « complexité administrative » et de pandémie planétaire. En vue de la transformation du lieu en ERP – établissement recevant du public –, outre le renforcement des planchers pour accueillir visiteurs et œuvres d’art, ont été réalisés quelques aménagements plutôt discrets, tels cet ascenseur calé dans un angle de la cour Maubec ou ce large et utile escalier qui dessert tous les niveaux et fait également office de « colimaçon » de secours. Au total, 6 000 m2 – dont 2 000 m2 consacrés aux expositions – se sont ouverts au public, avec quelques belles surprises de chantier comme, dans la salle des pas perdus de l’ancien tribunal, la découverte de décors peints datant de la monarchie de Juillet, ou, à l’extérieur cette fois, la restitution d’une splendide terrasse, au Nord-Ouest, avec sa vue à couper le souffle sur la vallée de l’Ardèche. Coût des travaux de réhabilitation : 12,6 millions d’euros HT.
Directeur du désormais prénommé Château-Centre d’art contemporain et du patrimoine, dont le budget de fonctionnement pour 2024 s’élève à 1,11 million d’euros – dont 400 000 euros pour les deux expositions inaugurales –, Victor Secretan a les idées claires : « Créer un centre d’art dans un territoire rural est un exercice complexe. Personnellement, je ne compte pas réinventer l’histoire de l’art. Nous voulons, au contraire, montrer que l’art contemporain peut être accessible à tout le monde. Mais attention : présenter des propositions "accessibles" ne veut pas dire perdre notre exigence ».
Pour l’ouverture sont ainsi proposées deux expositions distinctes. La première, dans le registre art brut/art naïf, invite à découvrir le travail d’un artiste original : le peintre et conteur Gérard Lattier, 87 ans, dont les tableaux arborent couleurs soutenues et textes au verbe vif. La seconde exposition, intitulée « Habiter le monde », réunit des visions hybrides de 12 artistes issus de 10 pays différents, dont Ruben Brulat, Kiki Smith, Hicham Berrada, Bianca Bondi ou Vojtech Kovarik. « Nous souhaitons montrer en quoi l’art contemporain est le prolongement formel des enjeux de notre époque, et évoquer comment les artistes cherchent à habiter le monde différemment, poétiquement…, souligne Victor Secretan. Je ne cherche pas à changer le monde et je ne veux, en aucun cas, donner une leçon de morale. Les artistes sont des gens comme tout le monde et leurs œuvres témoignent que l’homme n’est qu’une espèce parmi d’autres. »
Le clou de l’exposition se déploie dans la salle dite du pesage et ses 200 m2 transformés en volière pour accueillir l’installation de Céleste Boursier-Mougenot baptisée from here to ear [« D’ici à l’oreille »] : 12 guitares électriques posées à plat sur des pupitres et sur les cordes desquelles viennent se percher, de manière évidemment aléatoire, une soixantaine de moineaux Diamant Mandarin produisant de facto des sons façon pièce contemporaine, qu’un dispositif amplifie à l’envi. Lorsque la porte de cette salle reste ouverte, la musique s’échappe au cœur de la cour intérieure et le château tout entier vibre au son des riffs des oiseaux. Un enchantement.
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« Habiter le monde », jusqu’au 13 octobre 2024 ; « Gérard Lattier, Mythologies ardéchoises », jusqu’au 5 janvier 2025, Château-Centre d’art contemporain et du patrimoine, place de l’Hôtel-de-Ville, 07200 Aubenas