Alex Janvier, peintre visionnaire qui a combiné au Canada l’abstraction et les traditions des Premières Nations pour créer un style unique, est décédé le 10 juillet à l’âge de 89 ans. La réunion générale annuelle de l’Assemblée des Premières Nations a observé une minute de silence en l’honneur de l’artiste qui a défendu ses pairs autochtones et ouvert la voie à une nouvelle génération. « Ses œuvres évoquent une grande partie de l’histoire du Canada, y compris certains des chapitres les plus difficiles », a salué le Premier ministre canadien Justin Trudeau dans un post sur le réseau social X.
Né le 28 février 1935 dans la réserve indienne de Cold Lake (aujourd’hui Cold Lake First Nations), près de la frontière entre l’Alberta et la Saskatchewan, à près de 300 kilomètres au nord-est d’Edmonton, Alex Janvier était d’origine Denesuline et Saulteaux. À l’époque, le système des laissez-passer était encore en vigueur, cette politique gouvernementale restreignant les déplacements des peuples autochtones hors des réserves.
Le père d’Alex Janvier, Harry Janvier, était le dernier chef héréditaire de la communauté avant que la loi fédérale n’exige la présence de représentants élus. Alex Janvier a grandi avec neuf frères et sœurs. À l’âge de 8 ans, il a été envoyé au pensionnat Blue Quills, à environ 100 kilomètres au sud-ouest de Cold Lake.
« Ce genre d’histoire a des conséquences inhabituelles sur notre vie, a-t-il déclaré à propos de son séjour à l’école. Elle porte atteinte à votre langue, votre culture et vos croyances. Ils en ont probablement effacé une grande partie. »
Malgré cela, les enseignants remarquent et encouragent le talent artistique d’Alex Janvier, qui a commencé à suivre des cours d’art à l’université de l’Alberta au début de son adolescence. Il a ensuite étudié au Provincial Institute of Technology and Art de Calgary (aujourd’hui l’Alberta University of the Arts) sous la direction d’artistes comme Illingworth Kerr et Marion Nicoll – l’un des premiers peintres abstraits du Canada.
Alex Janvier gagne sa vie en tant que peintre et illustrateur à temps plein à partir de 1962. Il épouse Jacqueline Wolowski en 1968 avec qui il a eu six enfants. En 1973, il participe à la fondation de la Professional Native Indian Artists Inc. avec d’autres artistes des Premières Nations, Norval Morrisseau, Daphne Odjig et Jackson Beardy, ce qui lui ouvre les portes des galeries grand public à une époque où les artistes autochtones sont souvent confinés dans les musées ethnographiques.
Inspiré tant par les motifs et les couleurs de la broderie de perles traditionnelle Denesuline, de la peinture sur peau et du travail à la plume que par les œuvres de Paul Klee et de Wassily Kandinsky, le travail abstrait d’Alex Janvier est souvent très politique.
Sa peinture Lubicon de 1988, enflammée par des rouges vifs, exprime sa rage face au traitement réservé à son peuple, tout comme une série sur son expérience dans les pensionnats. O’Kanada (1990), installée au Royal Alberta Museum d’Edmonton, a été inspirée par la crise d’Oka, un affrontement entre la communauté mohawk et la police au sujet d’un projet de construction d’un terrain de golf au sommet d’un cimetière indigène. Dans son œuvre Morning Star de 1993, peinte sur le dôme du Musée canadien de l’histoire à Québec, Alex Janvier a déclaré avoir représenté l’histoire des autochtones et l’espoir d’une réconciliation.
En 1998, l’artiste a conçu une pièce de 200 dollars canadiens pour la Monnaie royale canadienne, basée sur la légende du bison blanc. Sa mosaïque géante Iron Foot Place (2015) accueille toujours les amateurs de hockey à l’aréna Rogers Place d’Edmonton.
En 2003, il a ouvert la Janvier Gallery à Cold Lake, un lieu où les visiteurs pouvaient le rencontrer pendant qu’il faisait des pauses dans son atelier voisin. « Quand je mourrai, je veux avoir un pinceau à la main », a-t-il déclaré en 2016.
Alex Janvier a reçu de nombreux prix au cours de sa vie, notamment l’Ordre du Canada, le Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques, le National Aboriginal Achievement Foundation’s Lifetime Achievement Award (Prix de la Fondation nationale des réalisations autochtones pour l’ensemble de sa carrière), la Médaille du jubilé de diamant de la Reine Elizabeth II et le titre de membre de l’Académie royale des arts du Canada.
« Pour moi, la peinture dit tout, a confié l’artiste en 2012. C’est le Redmantalk en couleur, dans la langue de l’Amérique du Nord. La voix de notre Créateur en couleur. »
« Alex était un véritable visionnaire qui a contribué à faire tomber les barrières qui confinaient l’art indigène à l’anthropologie, a déclaré la conservatrice anishinaabe Wanda Nanibush à The Art Newspaper. Il était notre porte-flambeau lorsqu’il parlait de la nécessité pour le Canada de payer son dû. C’était un esprit doux qui suivait les cycles et les couleurs du monde dans ses peintures. »
L’artiste salish de la côte Lawrence Paul Yuxweluptun, qui a rencontré Alex Janvier pour la première fois en 1992 à l’occasion de l’exposition collective novatrice « Land, Spirit, Power » à la National Gallery of Canada (Musée des beaux-arts du Canada) à Ottawa – où Alex Janvier se verra consacrer une rétrospective en 2016 – se souvient que ce dernier qualifiait ses œuvres de topographiques. « Il a déclaré qu’il regardait la terre d’en haut, comme s’il était un aigle en vol, explique Lawrence Paul Yuxweluptun. Il vole désormais avec les aigles. »