Au musée des Beaux-Arts de Rouen, l’exposition « Whistler. L’effet papillon » propose dans son parcours un résumé de l’esprit qui anime cette saison le Festival Normandie impressionniste, à savoir l’accent mis sur l’influence du mouvement jusque dans l’art actuel. La première salle est en effet dominée par un magistral portrait en pied, Red and Black : The Fan (1889-1896), élégante femme toute de rouge vêtue, avec un éventail saisi par une main portant un long gant noir. En écho, dans la dernière salle de l’exposition, arborant les mêmes teintes rouge et noire, un tableau de Mark Rothko prêté par la Tate Modern, à Londres, clôt la démonstration. Selon le cartel : « Dès les années 1950, la critique américaine souligne la filiation entre [James Abbott McNeill] Whistler et l’expressionnisme abstrait new-yorkais, mouvement dans lequel les artistes s’expriment par le geste, la couleur et la matière. Si Whistler reste un artiste littéraire expérimentant l’effacement de la figure, [Mark] Rothko n’attache sa peinture qu’à elle-même, offrant l’expérience spirituelle d’une immensité sans limites. » L’exposition rouennaise, consacrée à un peintre considéré comme le précurseur de l’impressionnisme américain, montre ainsi pour la première fois les nombreuses influences qu’il aura sur ses contemporains, et au-delà.
UN DIALOGUE ENTRE LES ARTS
Si le musée des Impressionnismes, à Giverny, a présenté du 29 mars au 30 juin 2024 « L’Impressionnisme et la mer », toujours dans le cadre du festival normand – avec des tableaux de Claude Monet, Gustave Courbet, Eugène Boudin, Camille Pissarro ou Paul Gauguin –, le littoral a été dès l’invention de la photographie un sujet de choix pour les adeptes de cette nouvelle technique. Le musée d’Art moderne André Malraux – MuMa, au Havre, dans une magistrale démonstration, dévoile un ensemble exceptionnel de tirages dans « Photographier en Normandie (1840-1890). Un dialogue pionnier entre les arts ». Les commissaires Sylvie Aubenas, Benoît Eliot et Dominique Rouet mettent en lumière le « foyer normand de photographie », une région qui n’a pas d’équivalent pour l’évolution à la fois de l’image fixe et de la peinture impressionniste. Le parcours, qui réunit plus de 200 œuvres, parfois totalement inédites, s’attache notamment à montrer que les pratiquants des deux domaines se sont quelquefois saisis des mêmes sujets, jusqu’à cette section consacrée aux grands travaux et au développement des chemins de fer. Mais c’est surtout la mer, la plage, les ports qui fascinent ces faiseurs d’images, tel Gustave Le Gray photographiant des Bateaux quittant le port du Havre en 1856, seize ans avant que Claude Monet vienne y peindre Impression, soleil levant, tableau qui donnera son nom au mouvement. Les photographes ont aussi immortalisé les falaises de la côte, d’Étretat à la région de Dieppe. Ces images sont confrontées à une toile de Claude Monet conservée dans les collections du MuMa, Les Falaises de Varengeville (1897).
C’est précisément sur ce site qu’est venu travailler, pour son exposition à la galerie Duchamp, à Yvetot, le peintre contemporain Marc Desgrandchamps, qui n’était guère familier auparavant du littoral normand. « Je suis très sensible au paysage de montagne, raconte l’artiste. Dans les falaises, j’ai retrouvé quelque chose de l’ordre de la verticalité, et en même temps une monumentalité assez saisissante au travers de leur matière crayeuse. Leur aspect est à la fois très solide et très imposant, et en même temps fragile, même extrêmement fragile parce qu’elles s’effritent et qu’elles ont tendance parfois à s’écrouler. Ceci rejoint un peu mon idée du visible, du monde, dans le sens d’une matérialité prégnante. Mais qui est aussi fragilisée et bousculée de l’intérieur. » Le peintre a représenté sur certains tableaux une statue qui semble se déplacer le long des falaises, personnage inspiré d’une figure acéphale sculptée sur une colonne du site de l’aître Saint-Maclou, à Rouen.
DES REFLETS DU PRÉSENT
C’est encore à Varengeville que Laurent Grasso fait actuellement construire une maison atelier par les architectes du Studio KO. Toujours dans le cadre du festival, l’artiste propose une importante exposition à l’abbaye de Jumièges. Ces ruines ont été immortalisées dès le XIXe siècle par le photographe Helmuth Lepel-Cointet qui réalisa la toute première photographie de l’abbatiale de Jumièges en 1852, quelques mois avant l’achat du site par le père du photographe, Aimé Lepel-Cointet; une image présentée au MuMa. C’est ainsi dans cette ruine majestueuse qu’est intervenu Laurent Grasso en interrogeant le magnétisme du lieu. Les nuages en cuivre posés au sol de Cloud Theory dialoguent avec l’architecture à ciel ouvert de l’ancienne abbaye, tandis que de multiples néons rythment les murs, yeux, flammes ou dates – telles 841 (qui correspond au sac et à l’incendie de l’abbaye par les Vikings) ou 1795 (la vente de l’abbaye). « J’ai lu dans la ruine la période très complexe que l’on traverse, la notion d’effondrement, commente Laurent Grasso. Les sols sont légèrement noircis, comme s’ils avaient pu être couverts de cendres. L’idée est aussi de voir dans la ruine un portail qui nous rappellerait toutes les catastrophes passées, mais également celles du présent et celles à venir.»
Dans le logis qui surplombe le site se déploie une présentation plus classique de pièces de l’artiste, de ses trois films OttO (2018), Artificialis (2020) et Orchid Island (2023) à la tapisserie inédite Studies into the Past tissée à la Manufacture Robert Four, à Aubusson.
Si, parmi le volet contemporain, figurent aussi au musée des Beaux-Arts de Rouen les dernières œuvres réalisées dans la région par le désormais Normand David Hockney en utilisant les nouvelles technologies, à savoir l’iPad, Oliver Beer a, de son côté, inventé une manière originale de peindre en faisant circuler les pigments sur la toile grâce aux vibrations du son. Il a travaillé ici à partir d’un enregistrement des bruits captés dans le bassin de Claude Monet à Giverny. Ces interprétations contemporaines des Nymphéas viennent illuminer le centre d’art contemporain Hangar 107, à Rouen, et dialoguer avec le cours de la Seine en contrebas. Et ses reflets miroitants, toujours.
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Normandie impressionniste 2024, 22 mars-22 septembre 2024, divers lieux en Normandie.