L’arrivée de la galerie Hauser & Wirth à Minorque, île des Baléares au riche passé, puisqu’elle fut à la Préhistoire le berceau de la culture talayotique, a déjà grandement dynamisé la scène artistique locale. L’inauguration de ses vastes espaces d’exposition en 2021 sur l’Isla del Rey a été suivie de l’ouverture de la Casa Marguo à Mahon, en 2023, un lieu d’exposition et de résidence installé dans une maison de ville par l’enseigne parisienne Marguo. Le 6 juillet 2024, c’est au tour de la galerie Albarrán Bourdais, déjà présente à Madrid, d’inaugurer un nouvel espace, situé en face du théâtre lyrique de la ville, avec une exposition inédite de l’artiste Felice Varini.
Pour l’heure, les grands espaces de Hauser & Wirth Menorca réaménagés par l’architecte d’intérieur Luis Laplace accueillent deux expositions importantes. La galerie a d’abord invité Roni Horn (née en 1955) qui expose sur l’île pour la première fois. L’artiste y a conçu une vaste installation de sculptures circulaires de verre moulé. Ces œuvres, qui font partie du vocabulaire de l’Américaine depuis les années 1990, trouvent ici une résonance particulière, à la fois par leur couleur – l’une est même teintée de noir – et par les reflets que vient produire à leur contact le soleil du Sud.
La dimension littéraire et poétique n’est jamais absente du travail de Roni Horn, et celle-ci s’est inspirée de poèmes d’Emily Dickinson dans ses créations en trois dimensions de la série Key and Cue portant des inscriptions telles que « A Chilly Peace Infests the Grass » (Une paix douce infeste l’herbe). Le parcours devient davantage mystique et philosophique dans un deuxième espace plus contraint avec Black Asphere (1988/2006), boule de cuivre noir posée au sol, et Double Mobius, v. 2 (2009/2018), deux fines boucles en or pur accrochées au mur, œuvre qui semble à la fois très précieuse et très fragile.
Un écrin élémentaire
La sculpture est toujours à l’honneur de l’autre côté du patio avec une importante exposition consacrée à Eduardo Chillida (1924-2002), dans le cadre du 100e anniversaire de la naissance de l’artiste basque. Près de soixante œuvres témoignent de son travail, depuis sa jeunesse, avec un dessin de 1949 (année de son premier séjour à Paris) jusqu’aux années 2000. L’artiste a été très lié à Minorque, venant y passer ses étés en famille à partir de 1989. Avec sa femme Pilar Belzunce, il construit une maison à Alcaufar où il aménage un atelier en extérieur. Là, il réalise des sculptures en terre chamottée, une pratique solitaire qui contraste avec son travail en équipe pour ses pièces monumentales. Surtout, venant d’une région du nord de l’Espagne, le Pays basque, où la lumière est, selon son expression,« sombre », il est ébloui par l’intensité de la luminosité méditerranéenne.
L’exposition, imaginée par Luis Laplace, qui a conçu certains socles en marès, la pierre calcaire locale, s’ouvre par une salle où sont associés une sculpture en acier Corten et un grand Mural en terre chamottée de plus de 3 mètres de côtés. Le parcours joue à la fois du rapport des œuvres au bâtiment, mais aussi avec l’extérieur, visible depuis de larges fenêtres. Ainsi, le regard du visiteur sur Homenaje a la mar IV (Hommage à la mer IV, 1998), grande sculpture circulaire en albâtre, croise à travers la vitre la Méditerranée, comme l’aurait aimé cet artiste qui a tant contemplé la mer. Ailleurs, Beaulieu (Beautiful Place) (2021), dont la base et le sommet en acier Corten évoquent un arbre, se détache sur les frondaisons extérieures. Les pièces d’Eduardo Chillida, dont le travail reste très architectural, trouvent ici une subtile mise en espace et en volume, en harmonie avec le site et son environnement, dans un dialogue naturel et fondamental.
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« Eduardo Chillida. Chillida in Menorca » et « Roni Horn », 11 mai - 27 octobre 2024, Hauser & Wirth Menorca, Illa del Rei, Mahon, Minorque, Espagne.