En septembre, vous inaugurez « Le MAMCO, de mémoire », votre dernière exposition avant la fermeture du musée pendant quatre ans pour travaux. Cette fois-ci, ce n’est ni vous ni vos équipes qui ont choisi les œuvres.
Nous avons en effet cédé ce privilège ! Il s’agit d’une exposition participative, dans le sens où le public a pu choisir en ligne les œuvres de la collection du musée qu’il souhaitait revoir avant notre fermeture. Les votes ont été suspendus lorsque l’on en a récolté un millier, notre ambition étant d’accéder à toutes les demandes.
Certains choix vous ont-ils surpris ?
Certaines propositions étaient attendues, comme La Forêt de Xavier Veilhan ou Habibi, le squelette géant d’Adel Abdessemed, qui sont des pièces ayant marqué nos visiteurs. D’autres nous ont davantage étonnés, mais nous sommes très heureux de revoir ces œuvres sur nos murs. Plus surprenant encore, des personnes ont voté pour des pièces que le musée n’avait jamais exposées. Elles viennent de donations qui ont été faites à l’ouverture du musée, notamment par l’AMAM, l’Association pour un musée d’art moderne. C’est le cas d’une grande sculpture de l’artiste suisse Gianfredo Camesi, par exemple. Pour toutes ces raisons, cette exposition est bien un portrait en creux du MAMCO, à travers la mémoire de ses objets, mais aussi le souvenir des expositions qui se sont déroulées ici depuis trente ans.
Le musée fermera ensuite jusqu’en 2029, tout comme le Centre d’art contemporain et le Centre de la photographie qui sont situés dans le même bâtiment. À quoi ressemblera ce dernier à sa réouverture ?
Cet édifice n’a jamais connu de véritable rénovation depuis sa construction au mitan du XXe siècle. Lorsque le MAMCO s’est installé en 1994 dans cette ancienne usine, de simples travaux liés à la sécurité ont été effectués. À l’époque, on ne parlait ni de normes énergétiques ni d’accueil des publics, et la dimension de contrôle climatique n’a jamais été prise en compte. Cet important chantier de 60 millions de francs suisses [62,7 millions d’euros] redonnera cent ans au bâtiment, tout en le dédiant de manière pérenne à l’art contemporain. Chaque institution retrouvera, peu ou prou, les mêmes surfaces d’exposition. C’est surtout l’entrée qui va radicalement changer en dégageant un hall avec 8 mètres sous plafond du côté de la rue des Vieux-Grenadiers. Cette entrée sera équipée d’une billetterie commune, d’une cafétéria, d’une boutique et d’une librairie… bref tout ce qui a toujours fait défaut en termes d’expériences attendues d’une visite d’un musée aujourd’hui. Des œuvres de grands formats et appartenant aux collections publiques – celle du MAMCO, mais aussi des fonds cantonaux et municipaux d’art contemporain – seront exposées dans un espace hors douane, avant que le public n’entre dans les espaces propres à chaque institution. Enfin, une salle polyvalente permettra l’accueil de conférences, performances, programmes de médiation, etc.
Comment allez-vous faire vivre le MAMCO pendant les quatre prochaines années ?
Avec mon équipe, nous sommes en train d’inventer notre méthodologie. Comment continuer à parler à nos publics sans leur proposer un musée en version réduite ? C’est-à-dire sans montrer sur 350 m2 – ce qui est à peu près l’espace que l’on peut trouver facilement à Genève – ce que nous faisons d’habitude sur 3500 ? J’aimerais également éviter les effets de dispersion, avec des projets tous azimuts sans que rien ne les relie aux yeux des visiteurs. Enfin, être accueilli par un autre lieu, c’est très bien, mais cela pose de vraies questions identitaires. Nous allons donc plutôt programmer de façon thématique des collaborations avec des lieux à Genève, sans être nécessairement liés aux Beaux-Arts. Et ainsi coconstruire des expositions sur des questionnements que nous partageons. Nous envisageons donc aussi bien d’engager des discussions avec le MAH [musée d’Art et d’Histoire de Genève] autour du musée Rath, qu’avec le MEG [musée d’Ethnographie de Genève] ou la Comédie.
Par exemple ?
Le MEG se pose des questions importantes sur les provenances et les contextes d’origine des objets de ses collections. Même si cela ne semble pas nous concerner directement, étant donné que nos œuvres ont été acquises auprès d’artistes vivants, cela ne veut pas dire que d’autres questions ne se posent pas, notamment sur certains biais culturels qui font que notre collection ne raconte qu’une partie de l’histoire de l’art global. Nous avons déjà commencé à pallier ces manques en faisant de la recherche, en exposant d’autres points de vue et en réfléchissant aux questions de décentrement. Comme cela a été le cas avec la séquence d’expositions, en 2019, autour de la rétrospective de Rasheed Araeen, un artiste pakistanais établi à Londres, qui nous fait regarder l’abstraction autrement en nous expliquant qu’elle a été inventée il y a 2000 ans dans les pays arabes et non pas en 1910 entre la Russie et la France... Ces quatre années nous donneront le temps nécessaire pour approfondir ce genre de relecture historique passionnante.
Vous parlez de collaborations avec des lieux à Genève. Avez-vous également envisagé de mieux faire connaître le musée ailleurs en Suisse ?
Il est de coutume qu’un musée en travaux pendant une aussi longue période mette ses collections à la disposition d’autres institutions. Le prochain numéro de notre Journal présente notre collection, ses lignes de force et près de vingt-cinq corpus monographiques d’importance, comme ceux de Marcia Hafif, de John Armleder ou encore de Gordon Matta-Clark, que nous conservons. Cela, tant pour accompagner l’exposition de cet automne que pour susciter l’intérêt d’exposer de tels ensembles auprès de mes collègues des musées suisses. Je me verrais bien faire un tour de Suisse pendant ces quatre années, avec un parcours de visites proposé à notre public et des étapes qui permettent de découvrir des musées que j’adore, comme le Kunst Museum de Winterthur, mais aussi celui de Coire, de Glaris ou de la Chaux-de-Fonds. Enfin, nous sommes également en discussion avec plusieurs musées en France, en Italie et en Belgique pour présenter, sur des durées qui peuvent dépasser celles des expositions temporaires, certains éléments de notre collection.
Serez-vous commissaire de ces expositions ?
Justement pas. C’est le musée qui est le personnage principal, pas moi. Je propose, et les institutions disposent. Elles pourront compter sur nos œuvres, mais aussi nos connaissances sur celles-ci, nos contacts privilégiés avec les artistes, notre savoir-faire en termes de montage ou de médiation. Par ce biais, j’aimerais également instiller chez mes confrères cette idée que, de manière générale, nos collections ne sont pas des trésors sur lesquels nous sommes assis, mais des ressources à mutualiser. Nous sommes tous confrontés au manque d’argent et à une demande de révision de nos corpus. Est-ce dès lors bien utile de disperser nos moyens en achetant tous les mêmes artistes ? Ne serait-il pas plus productif de mettre nos forces en commun pour compléter, ensemble, nos collections au niveau du territoire helvétique ?
En 2025, cela fera dix ans que vous dirigez le MAMCO. Serez-vous toujours là en 2029 au moment de sa réouverture ?
Je ne me projette pas encore aussi loin. Cette discussion, je l’aurai avec le conseil du musée et l’équipe, dans le courant de ces quatre années. Quelle est la bonne équation ? Nouveau bâtiment, nouvelle direction et nouveau projet ? Ou nouveau bâtiment, mais ancien directeur avec un nouveau projet ? Quoiqu’il en soit, il faudra une nouvelle proposition stimulante pour la réouverture. J’ai ma petite idée sur le sujet, mais il est encore trop tôt pour en parler.
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« Le MAMCO, de mémoire », 3 septembre-22 décembre 2024, MAMCO, rue des Vieux-Grenadiers, 10, 1025 Genève.