À l’été 2023, à Paris, « La Morsure des termites » (« La Morsure des termites », 16 juin 2023-7 janvier 2024, sous le commissariat de Hugo Vitrani, Palais de Tokyo, Paris) procurait aux visiteurs du Palais de Tokyo des impressions d’énergie et d’enthousiasme qu’ils n’y éprouvent pas toujours. Peu après, la Galerie kreo évoquait les « Echosystems » (« Virgil Abloh : Echosystems », 21 septembre-28 octobre 2023, Galerie kreo, Paris) situés à l’intersection des mondes du graffiti et du design. Puis au printemps 2024, la New Galerie traçait, avec « Sous influence » (« Sous influence », 16 mars-18 mai 2024, New Galerie, Paris), les lignes de l’admiration et de la généalogie entre Roberto Matta, Brion Gysin, Keith Haring, Futura 2000, Zevs...
À l’été 2024, deux expositions, à Arles et à Rennes, proposent à leur tour des points de vue stimulants sur le graffiti. Leurs approches complémentaires témoignent des logiques, des pratiques, des rôles déterminés par les statuts respectifs du centre d’art, du festival et du musée.
Du festival estival à l'espace muséal
L’exposition « Au nom du nom » (Rencontres d’Arles : « Au nom du nom. Les surfaces sensibles du graffiti », 1er juillet-29 septembre 2024, sous le commissariat de Hugo Vitrani, église Sainte- Anne, Arles) prolonge à Arles celle du Palais de Tokyo, notamment son intérêt pour les points de passage entre les mondes du graffiti et de l’art contemporain, tout en s’en distinguant par une approche scénographique et des modalités de relations au public renouvelées. Le parcours labyrinthique du Palais de Tokyo, écho littéral de la « termitière» underground, a cédé la place aux cloisons diagonales et aux fonds colorés typiques des Rencontres d’Arles. Aux codes volontiers cryptiques du centre d’art succèdent ceux, plus explicites, du festival estival, mais la démarche « curatoriale » reste inchangée : elle privilégie l’intuition, l’allusion, la rapidité. Elle a le charme, parfois naïf ou poseur mais indéniablement opérant, du romantisme.
C’est une toute autre attitude au musée des Beaux-Arts de Rennes, où l’exposition « Aérosol, une histoire du graffiti » (« Aérosol, une histoire du graffiti », 15 juin-22 septembre 2024, musée des Beaux-Arts, Rennes) emprunte les registres muséographiques de l’objectivité, de la clarté et de la précision. Son parcours articule les points de vue chronologique (depuis les mouvements artistiques ou politiques des années 1960), géographique (Paris, Rennes, New York, Athènes), technique (l’histoire de la bombe aérosol), processuel (dessins préparatoires, carnets, matrices, pochoirs), sans oublier les liens avec la musique (le punk, le rap) et avec les médias (les émissions télévisées « Mégahertz » ou « H.I.P.H.O.P. » sur TF1). L’équilibre entre approches contextuelle et formelle, entre document et fétiche, est impeccable. Comme l’est la façon d’aborder une question qui sous-tend l’ensemble de l’exposition : celle des relations complexes – pleines d’allers-retours et de contradictions – entre culture underground et culture légitime, entre avant-garde et mainstream, entre refus de l’institution et récupération.
L’actualité fournit aussi un exemple moins convaincant d’invitation de l’art urbain au musée : « We Are Here » (« We Are Here. Une exploration d’art urbain au Petit Palais », 12 juin-17 novembre 2024, Petit Palais, Paris), au Petit Palais, veut « engager un dialogue subtil avec ses collections permanentes ». Les œuvres simplistes, la contextualisation insuffisante et les effets appuyés (grands formats, cadres dorés, accrochage de type Salon) aboutiraient plutôt à ériger le street art en héritier de l’art pompier.