Les Portugais ont été les premiers Européens à découvrir le Japon à partir de 1543. Juste retour des choses, Kengo Kuma – l’architecte, en France, du musée départemental Albert-Kahn à Boulogne-Billancourt (2019) et de la gare Saint-Denis-Pleyel du métro du Grand Paris express (2024) – imprime désormais sa marque toute nippone dans la ville du fado – son premier projet au Portugal.
Revisitant les espaces du bâtiment brutaliste original, conçu par le Britannique Sir Leslie Martin pour accueillir en 1983 l’exceptionnelle collection d’art ancien, moderne et contemporain ainsi que les pièces de René Lalique du magnat du pétrole et philanthrope d’origine arménienne Calouste Gulbenkian, l’agence d’architecture Kengo Kuma & Associates a ouvert les espaces du CAM – Centro de Arte Moderna Gulbenkian à la lumière en y ajoutant une vaste entrée, prolongée d’une canopée donnant sur un paysage planté d'essences autochtones.
Pièce à la fois centrale et aérienne de cette transformation contemporaine, l’engawa (qui désigne en japonais un espace intermédiaire entre le dedans et le dehors), caractéristique des maisons traditionnelles et des temples du pays du Soleil-Levant, est propice à la contemplation de la nature au fil des saisons, tout en abritant du soleil et des intempéries.
À Lisbonne, ce nouvel auvent de plus de 100 mètres de long, composé d’éléments de bois et de tuiles de céramique fabriquées au Portugal, ouvre sur les jardins agrandis et réaménagés en forêt urbaine par les soins du paysagiste Vladimir Djurovic, incluant une pièce d’eau au premier plan. Un panorama bas et soigneusement cadré qui n’est pas sans évoquer les séquences d’un film de Yasujirō Ozu.
« La Fondation Calouste Gulbenkian a acheté ce nouveau terrain en 2005, raconte Benjamin Weil, le directeur du CAM. La question s’est posée d’ouvrir le CAM vers le sud de la ville. Nous avons lancé une compétition internationale pour réaliser cette extension et les jardins. La proposition lauréate de Kengo Kuma & Associates, inaugurée à l’occasion des 40 ans de l’institution, répond aux besoins d’un centre d’art moderne d’aujourd’hui. Cet espace engawa a été un point de départ important pour réfléchir à ce qu’est une institution culturelle en 2024. C’est un lieu d’échange. Nous allons devenir une interface dynamique entre la création artistique et ses publics. Avec ceci de particulier que nous commençons une nouvelle institution tout en tenant compte de son histoire. Il va s’agir de remontrer la collection et développer une programmation résolument du XXIe siècle, sans être nostalgique. »
« Dans notre vision du CAM, nous créons une fusion transparente, où l’architecture et la nature dialoguent en harmonie, explique Kengo Kuma. Inspirés par l’essence de l’engawa, nous dévoilons un nouveau récit extérieur, invitant les visiteurs à ralentir et à s’approprier l’espace. L’idée de douceur et de transition est étendue à l’intérieur du CAM où nous avons créé de nouveaux espaces par soustraction, en reproduisant la connexion du bâtiment avec le jardin et la lumière extérieure. »
Des salles d’exposition ont été creusées sous cette allée couverte. La nouvelle Galerie des collections en sous-sol accueille plus de quatre-vingt-dix œuvres du fonds du CAM dans le parcours « Tide Line » – dont le titre est inspiré d’une peinture murale de Hamish Fulton –, allant de la Révolution du 25 avril 1974 à aujourd’hui. L’accrochage changera tous les deux ans.
Des réserves ouvertes au public ont été aménagées pour présenter quelques-uns des chefs-d’œuvre d’artistes portugais parmi les 12 000 œuvres que compte la collection, de Helena Almeida à Maria Helena Vieira da Silva ou Paula Rego. Le CAM possède également un nombre important d’œuvres d’artistes internationaux, de David Hockney à Bridget Riley. Un cabinet de dessins est par ailleurs prévu.
Pour l’ouverture, l’artiste portugaise basée à Berlin Leonor Antunes présente The constant inequality of leonor’s days, une installation sculpturale conçue spécifiquement pour l’espace principal de la galerie, en dialogue avec une sélection d’œuvres d’artistes femmes de la collection du CAM exposées sur la mezzanine. « Ce projet a du sens pour moi, non seulement parce qu’il correspond à ma pratique, mais aussi parce qu’il me permet d’être entourée d’artistes qui ont été et continuent d’être importantes pour mon développement en tant qu’artiste », explique-t-elle.
Go Watanabe et Yasuhiro Morinaga ont, quant à eux, été invités à présenter chacun une œuvre dans le cadre de la saison d’art contemporain japonais au CAM. Une autre manière de poursuivre la longue histoire entre le Japon et le Portugal.
CAM – Centro de Arte Moderna Gulbenkian, Rua Marquês de Fronteira 2, Lisbonne, Portugal.