C’est l’une des sculptrices majeures du XXe siècle, longtemps restée dans l’ombre de ses pairs masculins. Contemporaine d’Alberto Giacometti, première sculptrice exposée au musée national d’Art moderne de Paris en 1956, Germaine Richier, disparue précocement en 1959, est considérée « dans l’histoire de la sculpture moderne, comme un chaînon entre Rodin et le premier César », selon Ariane Coulondre, commissaire de la rétrospective de près de 200 œuvres – sculptures, gravures, dessins – qui a marqué sa redécouverte au Centre Pompidou, à Paris, en 2023, de pair avec le musée Fabre de Montpellier, qui a accueilli le second volet de cette double exposition hommage.
Prolongement attendu de cette mise en lumière d’une grande artiste un peu oubliée, le catalogue raisonné de son œuvre sculpté dans ce premier tome (1916-1946) édité par Silvana Editoriale donne à voir cinquante ans d’archives photographiques. À la disparition de l’artiste, Françoise Guiter, sa nièce et élève, a entrepris un travail de recherche d’ampleur sur son œuvre. Elle a représenté la famille de Germaine Richier pendant la gestion de l’œuvre par la galerie Creuzevault (de 1959 à 1976). À partir de 1973, elle fut la seule personne habilitée à établir des certificats d’authenticité, avant de représenter l’œuvre de sa tante de 1976 à 2014. Sa fille, Sophie Guiter, qui a assuré la direction de l’ouvrage, a poursuivi cette aventure au long cours après son décès.
« En lisant le premier projet tapé à la machine, embryon du catalogue raisonné, j’ai été frappée par le fait que très tôt, dès les premiers textes, les premières listes, tout était là ou presque. Dans la méthode. Avec méthode. Comment l’expliquer ? écrit-elle. Cela vient sans doute du fait que Françoise Guiter, ma mère, qui a commencé très jeune à travailler avec Germaine Richier, possédait une grande conscience et connaissance de l’œuvre, mais aussi un don, une rigueur, une sensibilité, un œil. Et de surcroît une mémoire exceptionnelle qui lui permettait, sur une simple photo, de donner l’année, le lieu, le titre de l’exposition, le nom du photographe et celui du fondeur. Sans avoir fait d’études pour cela, elle a produit un travail scientifique. Déchiffrer, interroger, comparer, conserver, comprendre… »
« Des corps abrupts, massifs, différents de ceux inscrits dans notre mémoire, vont surgir à la manière d’un art brut ; corps amplifiés, remodelés, tout simplement nés d’autres certitudes, écrit dans la préface Jean-Louis Prat, ancien directeur de la Fondation Maeght et commissaire de l’exposition « Germaine Richier, rétrospective » en 1996 à la Fondation Maeght. Nardone, qui fut le modèle de Rodin pour son Balzac, sera le modèle de Germaine Richier et le détonateur de nombreuses sculptures. Ainsi une puissante morphologie sculptée, paraissant issue de temps plus anciens, deviendra dès lors le symbole d’une époque libérée des contraintes imposées par les canons d’une beauté trop classique qui pourrait mener à la convention, à l’académisme. »
Et d’ajouter : « Le temps est dorénavant l’allié définitif de Germaine Richier. La vigueur, l’âpreté de cette œuvre et son austérité bouleversent l’intuition première que nous avions de la beauté et de la perception extérieure. Tout devient possible, contrôlé au plus près par la métamorphose des formes et des matériaux, trouvailles diverses au hasard des rencontres, et qui auraient dû être sans suite.
[…] La sculpture ne doit jamais être frivole. Germaine Richier s’attache à dire dans son œuvre combien le sculpteur peut et doit être une conscience. Dans pareil monde il ne peut y avoir de laisser-aller, dans la manière de penser et dans la façon de s’exprimer. Le matériau, impétueux, doit être totalement dominé, sans laisser entrevoir ce qu’il aurait dû imposer ; par là même, il ne peut être traité avec désinvolture. Le sculpteur sait bien qu’il laisse un signe tangible pour le futur.
Les réconciliations inventées et proposées par Germaine Richier entre l’homme et la nature sont maintenant définitivement instaurées dans une œuvre arrimée à un temps séculaire qui fait de Germaine Richier un des sculpteurs essentiels de notre temps. »
Le catalogue raisonné de l’œuvre sculpté de Germaine Richier compte trois tomes : cette première partie du tome I est consacrée à la vie et à l’œuvre de l’artiste, explicitant les techniques de création ; la deuxième partie du tome I répertorie chronologiquement les œuvres (avec leurs fiches descriptives) de 1916 à 1946 ; les tomes II et III constituent le catalogage raisonné de l’œuvre (1947-1954 et 1955-1959). Françoise Guiter a été soutenue dans ce projet par Romuald Dor de La Souchère, grand ami de Germaine Richier et créateur du musée Picasso d’Antibes.
L’ouvrage, édité dans une version bilingue, en français/anglais, compte 560 pages et 612 illustrations. Le travail de recensement des œuvres, par l’auteur, couvre 687 expositions et plus de 4 000 références bibliographiques. Son prix est de 180 euros.