Alors que de multiples événements célèbrent la naissance en 1924 du surréalisme, une autre modernité centenaire issue de l’effervescence parisienne de l’entre-deux-guerres est mise à l’honneur au musée du Luxembourg, à Paris. Coordonnée par le Grand Palais RMN et le Guggenheim Museum de Bilbao (où l’exposition voyagera du 28 février au 8 juin 2025), la première rétrospective en France consacrée à Tarsila do Amaral (1886-1973) rassemble 150 tableaux, dessins et aquarelles de cette figure majeure du modernisme brésilien. Celle-ci débute sa carrière à Paris où elle réside régulièrement entre 1920 et 1932. Après avoir étudié à l’académie Julian puis « fait ses armes » cubistes notamment dans l’atelier d’Albert Gleizes, Tarsila do Amaral s’illustrera par une première exposition dans la capitale française, organisée en 1926 par Blaise Cendrars. C’est grâce à ce dernier que la Brésilienne rencontrera Constantin Brancusi, Georges Braque, Jean Cocteau, Robert et Sonia Delaunay, Pablo Picasso…
MODERNITÉ, EXOTISME ET « BRÉSILIANITÉ »
La France sera également le premier pays à faire l’acquisition d’une de ses œuvres, aujourd’hui conservée au musée de Grenoble.
Dans un paysage luxuriant aux couleurs vives et à l’apparente naïveté, A Cuca (1924) réunit « un animal étrange, un crapaud, un tatou et un autre animal inventé », écrit l’artiste dans une lettre à sa fille. L’une de ces créatures renvoie, comme l’indique le titre de l’œuvre, à un croquemitaine issu de contes pour enfants, motif parmi d’autres tirés des cultures populaires et autochtones, empruntés par l’artiste. Si les avant-gardes européennes sont source d’une immense richesse pour Tarsila do Amaral, celle-ci associe la peinture moderne – qu’elle découvre pour la première fois dans son pays d’origine avec l’« Exposição de Pintura Moderna » d’Anita Malfatti en 1917, puis les échos de la retentissante Semana de Arte Moderna de São Paulo en 1922 – aux influences vernaculaires. Tarsila do Amaral s’émancipe ainsi de l’académisme dominant par un modernisme teinté de primitivisme, voire d’un exotisme stratégique, consciente du goût des publics européen comme brésilien pour des représentations typiques de la « brésilianité ».
Emblématique de l’histoire complexe des échanges artistiques entre l’Amérique latine et l’Europe de l’Ouest, le syncrétisme de Tarsila do Amaral est animé par les projets culturels et politiques, exprimés dans deux manifestes successifs rédigés par Oswald de Andrade (son amant puis époux jusqu’en 1929).
En 1924, le Manifesto da Poesia Pau-Brasil (manifeste poétique bois-brésil) – du nom de la matière première exploitée par les colons portugais qui donna son nom au pays désormais indépendant – fait la promotion d’une « poésie d’exportation ». Puis en 1928, le fameux Manifesto Antropófago, inspiré du tableau de Tarsila do Amaral, Abaporu (en langue tupi-guarani, « homme qui mange la chair humaine »), propose un retournement métaphorique de la violence coloniale, dans l’acte d’assimilation des différentes influences artistiques, au risque d’idéaliser la quête d’une union harmonieuse entre les diverses populations (autochtones, portugaises et africaines), constitutives d’un pays marqué durablement par les inégalités.
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« Tarsila do Amaral. Peindre le Brésil moderne », 9 octobre 2024-2 février 2025, musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 75006 Paris.