Quelles sont les motivations de ce déménagement ?
Nous avons déménagé toute notre vie, mais cette fondation fête ses 40 ans ce mois-ci. depuis 30 ans, dans un bâtiment conçu et Si vous regardez en arrière, vous verrez que nous avons passé dix ans hors de Paris, à Jouy-en-Josas [près de Versailles]. Ensuite, nous nous sommes installés ici, boulevard Raspail [en 1994]
Pourquoi quitter ce lieu ?
Cet espace, bien qu’il ne soit pas hors de Paris, n’est pas tout à fait central non plus. C’est un bon quartier, mais nous y sommes depuis 30 ans, dans un bâtiment conçu et construit par Jean Nouvel. Le moment est venu de voir plus grand, alors que la fondation fête ses 40 ans – la plus ancienne fondation d’art contemporain en Europe… Je dois continuer à montrer la voie, et l’endroit où nous nous installons maintenant nous rendra non seulement la plus ancienne, mais aussi la plus vaste.
Des œuvres d’artistes clés comme Agnès Varda, Ian Hamilton Finlay et Giuseppe Penone se trouvent dans le jardin du boulevard Raspail, très apprécié des visiteurs.
C’est très triste de le quitter, mais nous emporterons une ou deux œuvres. Le jardin lui-même est une belle réalisation en soi et restera sur place.
Le nouvel espace est immense, avec cinq « plates-formes mobiles » modulables permettant la création d’espaces verticaux superposés. Ce vaste lieu sera difficile à remplir – la programmation sera-t-elle différente ?
Le nouvel espace couvre 8 500 mètres carrés accessibles au public, avec 6 500 mètres carrés d’espace d’exposition, comprenant une bibliothèque, un auditorium et un restaurant. La première exposition réunira une grande sélection de pièces issues de notre collection. Nous possédons 4 500 œuvres et, probablement, nous en montrerons 500 des meilleures, puis 500 autres, et encore 500. Rien n’est encore figé… La programmation sera différente, car l’espace est bien plus vaste. Les plates-formes nous offriront d’innombrables possibilités. Dès le départ, les gens se presseront pour voir le bâtiment.
Et qui sera le responsable ?
Je laisserai Chris [Dercon], le nouveau directeur général, s’en charger. Je lui ai dit de ne pas interférer dans le 40e anniversaire. Après cela, je lui donne toute liberté. Il continuera à me rendre des comptes et à avoir un rôle curatorial.
Jean Nouvel a déclaré dans un communiqué : « Au sein de cette architecture, qui ne conserve du XIX siècle que sa façade caractéristique et quelques éléments structurels, on se retrouve dans une cathédrale industrielle à la masse rare et aux portées très grandes ». Comment a-t-il abordé le projet ?
C’est un bâtiment classé – Nouvel peut transformer l’intérieur, mais ne doit pas toucher à l’extérieur. Ce qui m’excite le plus chez cet homme, c’est sa loyauté. Ce qu’il fait actuellement comporte un risque énorme, car peut-être que cela fonctionnera, peut-être pas.
Espérez-vous attirer de nouveaux publics dans cet espace de la place du Palais-Royal ?
Nous serons en face du Louvre, qui accueille chaque année environ huit à neuf millions de visiteurs. J’espère en capter environ 10%; un million de visiteurs sera parfait.
Et combien coûte ce nouveau siège ?
Le coût est ridicule – et confidentiel [des droits d’entrée seront perçus; les prix restent à confirmer].
La Fondation Cartier a connu trois « chapitres » différents; au cours du premier, dans les années 1980, vous avez fondé la fondation pour protéger les artistes juridiquement. Vous avez dit : « L’idée était simple : je voulais fournir aux artistes les moyens financiers et juridiques pour protéger leur nom et leur œuvre, gratuitement. »
Oui, mais cela n’a même pas duré un mois, car [l’artiste] César m’a dit : « écoutez, c’est très gentil de vouloir nous aider et nous protéger, mais ce n’est pas ce dont nous avons besoin ». Il m’a dit : « je ne demande pas d’argent. Je veux que vous dépensiez cet argent pour nous aider à montrer notre travail, en tirant parti de la rapidité du secteur privé. Dans le secteur public français, un accord avec un musée peut prendre de deux à cinq ans; avec vous, cela prendra entre deux et cinq semaines ».
Parlons des commandes et de la réalisation des projets. Les commandes sont évidemment cruciales pour la fondation. Je crois comprendre qu’elle n’a vendu que deux œuvres (toutes deux au profit de la structure) au cours de son histoire.
Nous demandons aux artistes d’exposer ici; ils présentent des œuvres que nous leur avons commandées. Nous devenons le producteur de l’artiste. Nous sommes prêts à organiser une exposition avec de nouvelles œuvres et nous achetons ce qu’ils exposent. Parfois, nous achetons toute l’exposition si elle n’est pas trop grande ou trop chère; parfois, une ou deux ou trois œuvres. Par exemple, les artistes de la communauté Yanomami du Brésil ont récemment présenté des œuvres dans plusieurs expositions ici, et nous avons tout acheté.
Vous avez également bouleversé le paysage philanthropique au milieu des années 1980 en soumettant un rapport au ministre de la Culture de l’époque, François Léotard, sur le développement du mécénat d’entreprise en France.
En 1986, le ministre de la Culture m’a demandé de préparer une loi, ce que nous avons fait en six mois. Elle a été votée en juillet 1987 [la loi Léotard sur le mécénat a été adoptée par le Parlement].
Vous avez toujours insisté sur une « séparation radicale » entre les activités de la Fondation Cartier et le développement commercial de la Maison Cartier…
Nous sommes là pour aider et servir les artistes contemporains. C’est tout. Et il ne peut y avoir de confusion avec notre travail [d’entreprise]. Les artistes n’ont pas le droit de créer des briquets ou des montres. Nous ne leur demandons rien pour nous [Cartier]. Ce n’est pas notre attente. Nous sommes dans le mécénat artistique, ce qui est différent de bien d’autres fondations.
Plus tôt cette année, une lettre ouverte lancée par le galeriste parisien Daniel Templon a demandé au gouvernement français d’annuler la fermeture programmée du Centre Pompidou pour une période de cinq ans à partir de 2025 pour cause de rénovation. La lettre a également soulevé la question de la prédominance des fondations privées d’art à Paris.
[Daniel] Templon a raison de s’inquiéter de la fermeture du Centre Pompidou [pendant cinq ans]. Mais le Centre Pompidou n’est pas une fondation privée. Qu’est-ce que cela signifie ? Le monde de l’art, qui a été sous le contrôle de l’État pendant environ 400 ans, est en crise. Il a besoin de notre argent [celui des fondations] et de notre expertise. Notre argent va vers l’art et les artistes. Notre efficacité en tant qu’entreprise privée ne peut être comparée à celle de l’État. Nous avons soutenu des musées comme le Centre Pompidou; en tant que société privée, nous travaillons à un rythme différent.
Enfin, ce nouveau « chapitre » (le déménagement vers le nouvel espace) ne vous effraye-t-il pas ?
C’est un nouveau défi, et j’adore ça !