Profitant d’une donation exceptionnelle de l'artiste, représenté par la galerie Thaddaeus Ropac, qui vient enrichir sa collection, le Centre Pompidou consacre une salle à l’œuvre de Sean Scully, né à Dublin en 1945 et installé à New York en 1975, après des études commencées à Londres et poursuivies à Harvard. Cette rétrospective concentre en huit tableaux le développement de son œuvre du début des années 1970 jusqu’à ses plus récentes toiles, « pour composer le portrait du grand romantique de l’abstraction contemporaine », selon les termes de Michel Gauthier, conservateur au Musée national d’art moderne - Centre Pompidou.
« De Sean Scully, on connaît les larges bandes colorées, plus ou moins segmentées et aux vibrants contours, qui structurent des peintures aux formats souvent imposants, écrit-il. Ce vocabulaire qui se forge dans les années 1980 et se développe dans les décennies suivantes a valu à la peinture de Scully une très large reconnaissance internationale. La présentation proposée par le Centre Pompidou a l’intérêt d’associer à quelques-unes de ces peintures emblématiques des travaux des années 1970 et du début des années 1980. »
Le parcours, qui embrasse dans un espace resserré cinq décennies de son travail, pour être parcellaire, a le mérite de mettre en évidence l’évolution de son vocabulaire pictural, des premières toiles sous influence de l’op art, faisant écho à la rigueur géométrique de Bridget Riley (Green Light, 1972-1973), au minimalisme et à l’expressionnisme abstrait américain dans Upright Horizontals Red Black (1979), dont l’austérité chromatique évoque les Black Paintings d’Ad Reinhardt ou de Frank Stella.
C’est aussi l’époque où la palette de Scully se fait plus sensuelle, le peintre délaissant l’acrylique pour la peinture à l’huile. Lors de l’inauguration de ce parcours choisi au fil de son œuvre, l’artiste nous confiait l’influence majeure de maîtres tels que Cézanne et les impressionnistes, ainsi que son admiration pour Francis Bacon.
À partir de ces années, son œuvre ne cessera de concilier abstraction et expressivité, syncrétisme que Michel Gauthier qualifie très justement de « géométrie colorée du sentiment ». « Je cherche à rendre visible ce que nous ressentons », confirme l’artiste. Au début des années 1980, le premier d’une longue série de séjours au Mexique le conforte dans sa quête : « sauver l’abstraction » du littéralisme au profit du rythme, de la couleur, rompant avec la stricte grille moderniste pour donner corps à une « peinture de la sensation ».
Ces deux dernières décennies, ses compositions de grand format attestent de ce travail complexe sur les nuances de la couleur. En témoignent des œuvres telles que Doric Sky (2011), Landline Far (2020) ou Plough (2023), qui en font « l’un des plus grands coloristes de l’époque ».
« Je suis Irlandais Américain. Je suis né en Irlande, j’ai grandi à Londres, et pour les plus cultivés et poètes d’entre nous qui ne voulaient pas devenir maçons, fossoyeurs ou rock stars, Paris était l’endroit où il fallait être, se souvient Sean Scully. Je venais à Paris depuis mon enfance, et j’étais ensorcelé par la ville. Paris était le centre de la culture, et plus particulièrement de la peinture. Lorsque le Centre Pompidou est sorti de terre, je n’ai eu de cesse de vouloir y exposer. Il était important pour moi d’être exposé ici, plus que partout ailleurs, y compris aux États-Unis. ''Comment humaniser l’abstraction ?'' est un leitmotiv dans mon travail. Armin Zweite, le grand critique d’art allemand, a publié un texte fantastique sur cette question. L’enjeu a toujours consisté à libérer le potentiel humaniste de l’abstraction géométrique afin de la ramener à l’expressivité. L’un des principaux outils que j’ai utilisés est bien sûr la couleur. Au fil de ma carrière, elle évolue d’une forme très linéaire à un corpus où la couleur mais aussi la forme, l’application, le style, tout interagit. Un jour, j’ai vu au musée Isabella Stewart Gardner de Boston un tableau datant des jeunes années de Rembrandt, un paysage marin, très linéaire. J’ai alors pensé à ses portraits tardifs, extrêmement émouvants. Cela m’a vraiment inspiré, et m’a donné en un sens une indication sur ce que je devais faire. Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire. »
« Sean Scully, ou la géométrie colorée du sentiment », du 14 octobre 2024 au 24 février 2025, niveau 4, en salle 24, Musée national d’art moderne - Centre Pompidou, 75004 Paris.