Deux ans après Belleville, sorti en avril 2022 chez Stanley/Barker et aujourd’hui épuisé, paraît Ménilmontant chez le même éditeur britannique et promis à un succès identique. Thomas Boivin s’est fait une place à part au sein du panorama de la photographie française contemporaine, laquelle n’est pas sans rappeler la démarche de Patrick Faigenbaum autour du temps et des silences, de l’image face au rythme du réel ; une approche propre à troubler et à redéfinir notre appréhension et notre compréhension du monde qui nous entoure.
Thomas Boivin choisit ainsi ses sujets, principalement des situations urbaines emblématiques de notre société actuelle, qu’il étudie durant de longues années avant de les publier sous la forme de livres, qu’il compose avec soin, ou d’expositions, dont il réalise l’ensemble des tirages. Pour preuve, son exposition à la Fondation A Stichting, à Bruxelles, en 2022 (« Thomas Boivin. Belleville », 23 avril-26 juin 2022, Fondation A Stichting, Bruxelles). À cet égard, nous avons quelque peu regretté que ses images n’aient pas fait partie de la présentation de la collection de sa fondatrice, Astrid Ullens de Schooten, aux Rencontres d’Arles de l’été 2024.
Réflexions autour de l'image
D’une colline l’autre, Ménilmontant poursuit le propos de Belleville : un regard lent et attentif sur un quartier parisien en pleine reconfiguration dont Thomas Boivin collecte les instants les plus singuliers, entre aube et crépuscule, tragédie et poésie, disparition et épiphanie, intimité et extimité. Il y a au fil des pages, portés par une lumière incomparable, des moments d’une douceur et d’une tendresse inégalées et d’autres dont la dureté est presque tranchante, à l’instar d’un arrondissement – le 20e – sans équivalent à Paris.
Par là même, l’artiste réinvente l’humanisme en photographie, à l’aube d’un XXIe siècle qui en est particulièrement dépourvu. Aussi certaines images s’affirment-elles comme des actes de résistance minuscules mais tenaces à l’encontre des transformations urbaines comme des évolutions sociales contemporaines : elles accueillent le monde avec une distance précautionneuse et sans jugement. De même, le portrait chez Thomas Boivin est-il sans cesse mis en interaction avec les différentes façons dont les êtres humains pratiquent leur ville, mais également avec les enjeux de la prise de vue. Autrement dit, ce livre, comme toute l’œuvre de Thomas Boivin, ne cesse de se poser ces questions élémentaires : qu’est-ce qu’une « image » ? Qu’est-ce que « faire image » ?
Nous attendons dès lors avec impatience l’exposition et la publication consacrées à la place de la République, dont nous avons pu entrevoir quelques clichés aux Douches la Galerie, à Paris, au printemps 2024 (« Thomas Boivin. Ici – Belleville, Ménilmontant, Place de la République », 17 février-6 avril 2024, Les Douches la Galerie, Paris). Cette série n’est composée que de portraits pris à la chambre, sur un trépied, en plein milieu d’une place traversée par les flux ininterrompus et désordonnés de la foule. L’enjeu était de les interrompre afin de réaliser à travers la photographie un témoignage le plus précis possible de citoyennes et de citoyens, tout à la fois visibles et invisibles au cœur d’un lieu qui leur est paradoxalement dédié. La recherche de la juste distance entre l’intrusion et l’empathie.
Thomas Boivin, Ménilmontant, Londres, Stanley/Barker, 2023, n.p., 40,95 euros.