Si le paradis est un jardin, Inhotim est un paradis terrestre. Situé en dehors des circuits touristiques classiques au sud-est du Brésil, dans le Minas Gerais, cet immense musée à ciel ouvert de 140 ha attire des visiteurs venus du monde entier, environ 350 000 chaque année. À l’image d’un pays capable de construire un opéra en pleine jungle amazonienne, comme à Manaus, ou une ville sortie de nulle part comme Brasilia, Inhotim est le pari fou d’un seul homme. Fondée en 2006 par businessman Bernardo Paz, converti à l’art contemporain sur les conseils de son ami l’artiste Tunga, cette gigantesque galerie tropicale compte 500 œuvres, de 56 artistes représentant 18 pays, 24 galeries dont 6 dédiées aux expositions temporaires, ainsi qu’un jardin botanique exceptionnel inspiré de l’iconique paysagiste brésilien Roberto Burle Marx. Les 18 galeries permanentes, construites par de grands architectes, sont chacune dédiées à un artiste contemporain de renom – Tunga, Yayoi Kusama, Matthew Barney, Adriana Varejão, Doug Aitken… Inhotim est aussi le lieu où les artistes peuvent créer des choses qu’ils n’ont jamais faites avant.
C’est le cas de Paulo Nazareth, invité pour la première fois à occuper le site d’avril 2024 à février 2026. Le projet, intitulé Esconjuro (Exorcisme), est conçu en mouvement dans le temps et l’espace, et en dialogue continu avec les deux commissaires de l’exposition, Lucas Menezes et Beatriz Lemos. Pendant près de deux ans, l’artiste brésilien occupe la galerie Praça tout en s’étendant dans le jardin. L’exposition se déploie en quatre phases – appelées « réformes »–, reflétant les quatre saisons. Chaque cycle repose sur l’échange et le repositionnement d’œuvres dans la galerie, ainsi que sur l’inclusion d’œuvres dans les jardins. En avril 2024, l’artiste a exploré l’idée de terre ; ce mois-ci, l’idée de migration est mise en avant. Dans ce cadre sont présentées des photos inédites de la série Noticias de América retraçant son périple à pied en 2011-2012 allant du Brésil aux États-Unis, en passant par tous les pays d’Amérique latine ; en juin et décembre 2025, les sujets tourneront autour des nations et des nationalités.
Dans les jardins, l’artiste crée des installations en lien avec les thèmes. La première est une petite maison en boisremplie de 3 000 litres de cachaça. Située près de l’entrée de la galerie, légèrement cachée mais diffusant l’odeur de l’alcool de canne à sucre à l’arrivée du visiteur, cette Casa de Exu (Maison d’Eshu) – du nom de l’Orisha (esprit) dans la religion candomblé – est une offrande, une protection pour éloigner les énergies négatives. Vient ensuite Bananal, une plantation de bananes avec, au centre, une sculpture en bronze grandeur nature d’un bananier. La banane est un fruit très important dans l’œuvre de l’artiste. Elle pousse non seulement toute l’année et nourrit les travailleurs de la région, mais c’est là que les âmes s’y cachent, selon sa mère qui passe son temps à prier. L’exposition s’adresse à tous, l’idée étant que des oiseaux, des singes et d’autres animaux viennent habiter l’installation ou manger des bananes.
La semaine dernière, Paulo Nazareth a inauguré la deuxième phase de l’exposition, Casas de pássaros (maisons des oiseaux), en accrochant à des arbres fruitiers dix petites maisons en bois d’inspiration moderniste construites avec le menuisier d’Inhotim. Parce que le parc est sur le parcours des migrations d’oiseaux entre deux biomes importants – la forêt atlantique et le cerrado –, l’artiste souhaite accueillir cette population migrante. Aucune nourriture ou eau pour ne pas avoir un impact sur le processus de migration. Les oiseaux peuvent y construire des nids, l’installation se veut une invitation. Les maisons modernistes dénoncent l’impact de la construction de Brasilia sur la biodiversité du cerrado et les mouvements migratoires de personnes que ce chantier a déclenchés, notamment ceux venant du Nordeste.
Tout au long de son travail, l’artiste se fait des promesses. Tout comme il s’était promis en 2011 de visiter tous les pays d’Amérique latine avant d’aller aux États-Unis, ou de visiter tous les pays d’Afrique avant d’aller en Europe et d’être initié au Candomblé, Paulo Nazareth se lance des défis à Inhotim : ne pas manger de la journée pendant la première installation par exemple. Ces règles qu’il se fixe constituent un projet artistique. Elles participent à son œuvre et au processus de création car elles ont un impact sur son corps et provoquent aussi des échanges avec d’autres personnes…
Inhotim, R. B, 20, Conceicao do Itaguá, Brumadinho - MG, 32497-142, Brésil