Réputée pour son œuvre qui tisse un lien profond entre l’homme et la nature, Laure Prouvost a marqué les esprits avec des projets tels que Wantee (2013), récompensé par le Turner Prize en 2013, un film captivant évoquant une quête poétique autour d’un grand-père fictif, et Deep See Blue Surrounding You, une installation onirique pour le pavillon français de la Biennale de Venise 2019, inspirée par de mystérieuses pieuvres.
Aujourd’hui, cette artiste française établie à Bruxelles s’associe à la LAS Art Foundation, une fondation berlinoise tournée vers l’innovation, pour réaliser une œuvre pionnière exploitant les potentialités de l’informatique quantique. Intitulée We Felt a Star Dying, cette installation végétale monumentale, conçue en collaboration avec le philosophe Tobias Rees et l’équipe de Google Quantum AI, sera installée dans le vaste hall central du Kraftwerk à Berlin à partir du 20 février 2025.
« L’intelligence artificielle a déjà profondément transformé notre société, et l’informatique quantique s’apprête à bouleverser le monde dans les années à venir, explique Bettina Kames, directrice générale de la LAS Art Foundation, dans un communiqué. Face à cette révolution technologique, il est crucial de réfléchir à ses implications, et les artistes ont un rôle fondamental à jouer dans ce processus. Avec son approche visionnaire, Laure Prouvost ouvre de nouvelles perspectives, rendant accessible un sujet aussi complexe et offrant au public une première rencontre inédite avec cet univers. »
Laure Prouvost a confié à The Art Newspaper que son expérience de collaboration avec l’équipe de Google s’est révélée « incroyablement fascinante en termes de transformation de la manière de penser ». Pour elle, la magie du projet réside en partie dans l’utilisation de l’ordinateur quantique pour extraire, ou traduire, l’« essence quantique » des textes et des images, atteignant ce niveau subatomique qui constitue la trame fondamentale de la nature. Cette essence a été saisie dans son installation, une œuvre immersive mêlant matériaux physiques, éléments audio et vidéos. Cette aventure scientifique et artistique a également permis à l’artiste d’avoir une vision unifiée de la technologie, de la société et de la nature.
Cette exploration du « quantique » n’est pas une première pour Laure Prouvost. Elle se souvient avoir abordé ces concepts fondamentaux lorsqu’elle travaillait comme assistante de l’artiste conceptuel londonien John Latham au début des années 2000. « L’art est quantique », répétait-il, fasciné par ce qu’il appelait le « moindre événement » – ces fractions infimes de temps mesurables, qui incarnaient sa volonté de privilégier une approche de l’art centrée sur le temps plutôt que sur l’espace.
L’informatique quantique : la prochaine frontière
L’informatique quantique est considérée comme la prochaine révolution technologique majeure. Les États-Nations et les géants de l’innovation, tels qu’IBM, Google ou Microsoft, investissent massivement pour passer du stade expérimental à des applications concrètes. Contrairement aux ordinateurs classiques, ces machines fonctionnent à l’échelle quantique, celle des composants fondamentaux des atomes, permettant des calculs exponentiellement plus rapides pour certaines tâches spécifiques, dépassant même les capacités des superordinateurs actuels.
L’annonce de la commande faite à Laure Prouvost coïncide avec une avancée marquante : la révélation par ses collaborateurs de Google Quantum AI du lancement d’une nouvelle puce quantique baptisée Willow. Développée par une équipe dirigée par Hartmut Neven à Santa Barbara, en Californie, cette puce incarne une étape clé vers la mise en œuvre d’ordinateurs quantiques robustes, potentiellement intégrés à la vie quotidienne dans un futur proche.
La statistique publiée dans Nature concernant Willow est plus que parlante : cette puce accomplit en cinq minutes des tâches qui prendraient aux ordinateurs les plus rapides du monde une durée dépassant l’âge de l’univers connu.
L’une des conclusions les plus révélatrices de l’essor de l’informatique quantique réside dans sa capacité à renforcer considérablement la correction des erreurs, un défi majeur dans ce domaine. Cette avancée cruciale ouvre la voie à la réalisation de son potentiel théorique, avec des applications prometteuses : accélération des recherches médicales grâce à la modélisation de longues chaînes moléculaires, percée décisive vers la fusion nucléaire – ce « Saint Graal » de l’énergie propre – et exploitation optimale de nouveaux matériaux, notamment pour des batteries de technologie avancée.
La portée géopolitique de l’informatique quantique est tout aussi frappante. Elle pourrait révolutionner la cryptographie en rendant obsolètes les codes les plus complexes qui sécurisent Internet, la blockchain et les cryptomonnaies. Depuis 2022, les États-Unis ont ainsi légiféré pour encourager l’adoption d’un cryptage « à sécurité quantique ». Comme l’a déclaré Hartmut Neven sur son blog, « Willow nous rapproche de l’exécution d’algorithmes pratiques et commercialement pertinents, inaccessibles aux ordinateurs conventionnels. »
Elon Musk, le fondateur de SpaceX et le propriétaire de la plateforme de médias sociaux X, qui s’est jusqu’à présent relativement peu prononcé sur le potentiel de l’informatique quantique, s’est ému d’un éloquent « Waouh ! » à la nouvelle du lancement de Willow, lors d’un échange sur X avec Sundar Pichai, le directeur général de Google.
L’essence quantique des choses
« Il s’agit d’une expérience révolutionnaire sur ce que cette nouvelle génération d’ordinateurs peut offrir en termes d’esthétique, de langages visuels et sonores », a expliqué Bettina Kames à The Art Newspaper, à propos de la collaboration entre Laure Prouvost et Google. L’équipe de Santa Barbara, qui a accueilli Laure Prouvost, a réussi à « faire fonctionner des images animées et des sons sur des circuits quantiques », une première historique.
Cette collaboration s’inscrit dans un dialogue de longue haleine. Le LAS Art Foundation échange avec l’artiste sur ce projet depuis cinq ans, dans la continuité de sa participation à la Biennale de Venise en 2019. Ces discussions se sont intensifiées au cours des deux dernières années, culminant avec cette création pionnière.
Elle marque également le début d’une « Initiative d’art quantique » en trois volets menée par le LAS, en pleine « Année internationale des sciences et technologies quantiques » (AISQ), proclamée par les Nations unies. Ce projet rend hommage à un siècle de découvertes, depuis les travaux fondamentaux de Walter Heisenberg et Niels Bohr qui ont jeté les bases de la mécanique quantique.
Selon Bettina Kames, le LAS entend « initier un débat sociétal autour de la mécanique quantique. Tout le monde a compris l’importance de l’intelligence artificielle, son impact sur nos vies et sa capacité à façonner notre avenir. Ce n’est pas encore le cas pour la mécanique quantique. »