Dans la vidéo du projet Deep See Blue Surrounding You de Laure Prouvost, présenté au pavillon français de la Biennale de Venise, les images puissantes, véritables concentrés d'émotions, n'oublient pas d'être d'une extrême contemporanéité. Jusqu'à inclure la regrettée Agnès Varda ou l'effondrement de la flèche de Notre-Dame de Paris au montage du film qui constitue la pierre angulaire de son projet.
Couronnée par le Turner Prize en 2013, l'artiste installée à Londres et Anvers signe ici son opus magnum. Ce road-trip part de ses racines dans le Nord de la France jusqu'à la Sérénissime en passant par les tours Nuages de la banlieue parisienne, le Palais idéal du Facteur Cheval, la Méditerranée à Marseille.
Son projet embrasse les thèmes qui l'obsèdent de longue date : la sensualité des corps, les jeux de langage. Surtout, parler du monde dans lequel nous vivons, à sa manière, sensible et décalée. D'où nous venons, vers où nous allons, ce que nous sommes, ce qui nous est commun, précieux dans la rencontre de nos différences.
C'est aussi le manifeste d'une génération inquiète de son avenir – réchauffement climatique inclus. « Incroyable, le monde se prépare à un duvet de chaleur », dit ainsi l'un des protagonistes dans la vidéo. Ce qui n'empêche pas la légèreté, une subtilité dans le propos, jamais littéral.
En épilogue de cette fête à la fois joyeuse et grave à la croisée de la magie et du rêve, Laure Prouvost a ancré son projet dans les eaux vénitiennes, réponse in situ à l'invitation de la Biennale. « Je pourrais mourir pour ça », avance une voix off à la vue du Grand Canal.
Le voyage s'achève par une entrée magistrale dans le pavillon. Une pieuvre en gravit les marches. Un trapéziste se balance tête en bas. Un homme masqué déclare : « Ici, on va amuser la galerie. » « Vous êtes ici avec nous, vous fêtes partie de nous », dit une autre dans un sous-titre. L'un des acteurs interprète magistralement, a cappella, Lilac Wine, mélopée lancinante de Nina Simone, reprise par un Jeff Buckley en état de grâce. Ajouté aux images, le travail sur le son est tout au long exceptionnel. Des enfants rient, dansent. Un homme se jette dans le vide du haut du pavillon. Moment suspendu, intense, universel : « Nous volons au-dessus de tout, nous sommes comme des oiseaux n'appartenant plus à aucune nation. »
L'entrée des visiteurs, très underground, s'effectue par un chemin de traverse, dérobé – les dessous du pavillon. De l'obscurité vers la lumière. « Suivons la lumière », nous chuchote l'artiste dans son film. Avec Laure Prouvost, le voyage est aussi initiatique. Et part dans tous les sens. Un homme fait du vélo nu, des seins géants déversent leur lait, un poisson mange des framboises, on regarde le soleil éclatant par un petit interstice de la main... le tout assis dans des fauteuils sculptures dignes du Facteur Cheval. Le sol – sorte d'Acqua alta – est recouvert de résine, jonché d'objets, téléphones, pieuvres en verre de Murano, colombes bien vivantes...
Cet hymne humaniste à la vie se pare à chaque instant de poésie. C'est dada au pays des merveilles, en fanfare, à fleur de peau. En toute impartialité, le pavillon français est notre favori pour le Lion d'or.
58° Biennale de Venise, du 11 mai au 24 novembre 2019, Giardini et Arsenale, Venise, Italie.