Le musée d’Art moderne et contemporain – Saint-Étienne Métropole (MAMC+) est l’un des premiers en région à être consacré uniquement à l’art moderne et contemporain. Quelle a été sa genèse ?
Effectivement, le MAMC+ est une émanation du musée d’Art et d’Industrie, qui a été créé dès 1889. Très tôt, il combine beaucoup de collections, des armes, l’histoire de la mine, les rubans, ainsi que les cycles. À quoi s’ajoutent, évidemment, les Beaux-Arts, l’art moderne et, très vite, l’art contemporain. Ce musée a aussitôt souffert de salles peu adaptées, puisque son bâtiment a été construit à l’origine pour être une sous-préfecture. Bernard Ceysson, arrivé à sa tête en 1967, s’est rapidement rendu compte qu’il fallait envisager la construction d’autres musées, notamment d’art moderne et contemporain. Le projet a donc été dans les cartons dès 1972. Lors de son inauguration en 1987, l’édifice était prévu pour présenter une collection de 2 300 œuvres.
Qui a constitué cette collection d’art moderne et contemporain ?
Elle tient vraiment à deux conservateurs visionnaires. Maurice Allemand, dans un premier temps, a dirigé le musée d’art et d’industrie entre 1947 et 1967. Très vite, il pressent l’importance des artistes modernes. Il arrive, grâce à ses amitiés nouées avec les artistes, lesquels vont beaucoup donner, à réunir nombre d’œuvres qui vont constituer le cœur de la collection, qu’enrichira par la suite Bernard Ceysson.
Depuis 1987, le musée avait-il bénéficié d’une rénovation ?
Non, il n’y en avait pas eu. Il était temps de revoir des aspects très structurels tels que le sol, les cimaises et la climatisation. Nous voulions également retrouver des parties originelles de cette architecture : en premier lieu, la lumière zénithale, qui est partie prenante du projet de l’architecte Didier Guichard, et que l’on avait peu à peu perdue. La lumière peut maintenant éclairer nos salles de manière plus maîtrisée, avec des filtres UV, IR et quelques voiles pour protéger les dessins, les photographies et les œuvres fragiles.
Les travaux ont aussi permis de dégager une œuvre de Jean-Pierre Raynaud occultée par un mur…
Espace zéro est en effet une œuvre majeure qui appartient à l’histoire de ce bâtiment. Elle a vraiment été conçue en lien direct et en écho avec le lieu : les visiteurs peuvent observer un dialogue entre les panneaux de céramique noire recouvrant la façade du musée et les faïences blanches de Jean-Pierre Raynaud présentes sur ce mur situé dans le hall. L’architecte Didier Guichard était lui-même un collectionneur averti en matière d’art contemporain. Il avait passé commande d’une œuvre à Jean-Pierre Raynaud pour son appartement parisien. Les deux hommes étaient donc extrêmement complices.
Dans le cadre de cette rénovation, la question écologique a-t-elle été centrale ?
Oui, notre projet scientifique et culturel en cours de finalisation énonce effectivement cette nécessité de développement durable. La nouvelle climatisation est déjà beaucoup plus performante que celle des années 1980 et surtout beaucoup moins énergivore. Pour le sol, notre choix s’est porté sur le terrazzo, qui ne produit pas de déchets, contrairement à la résine, et n’est pas polluant au moment de son installation. Le terrazzo est aussi un matériau plus résistant, donc plus durable. Il y a également tout ce que l’on met en place pour le personnel, nos démarches RSO [responsabilité sociétale des organisations], à savoir des cimaises plus agréables, car, étant creuses, elles permettent aux techniciens d’y pénétrer. Ils ont la possibilité de travailler en toute sécurité jusqu’à 8 mètres de hauteur. C’était une alerte importante à mon arrivée au musée, elle est aujourd’hui levée.
Pour cette réouverture, vous avez principalement construit les expositions à partir des collections.
Oui, nous présentons actuellement un pan de la collection, celle d’art ancien, qui s’étend du XVIIe au XIXe siècle. Cet ensemble est presque inconnu du grand public. Ces collections d’art ancien, qui comptent plus de 500 œuvres, ont besoin d’être valorisées. Nous avons des dépôts importants, notamment du musée du Louvre, à Paris. Conformément aux obligations de toute institution labellisée Musée de France, nous souhaitons pouvoir mieux conserver cet ensemble pour le transmettre aux générations futures. Nous avons ainsi décidé de mettre toutes nos missions de restauration et de préservation sous les projecteurs. Le public, toujours curieux des coulisses du musée et de nos métiers, peut découvrir dans les salles nos restauratrices à l’œuvre sur une quinzaine de tableaux.
Ce projet est lié à la rénovation de vos réserves…
Afin d’installer notre nouvelle climatisation et effectuer un réaménagement d’ensemble, notre grande et notre petite réserve avaient besoin d’être totalement vidées de leurs œuvres, ce qui a déclenché un énorme chantier de collection. Il a fallu récoler, emballer et transporter 3 000 œuvres en quelques mois. Cette opération nous a amenés à nous interroger sur toutes ces pièces fragiles qui nécessiteraient d’être restaurées dans les mois et les années à venir.
Cela vous a aussi conduits à réunir dans une exposition les grands formats présents dans la collection…
Le chantier nous a obligés à laisser sur les cimaises les œuvres les plus imposantes, les plus lourdes… Nous avons donc imaginé l’exposition « Hors format », afin de montrer que ce musée a eu très tôt une politique d’acquisition ambitieuse grâce à une succession de conservateurs inspirés, autant que les artistes, par les murs immenses conçus dans cet esprit en 1987. « Hors format » réunit soixante chefs-d’œuvre iconiques du musée, de Gerhard Richter à Frank Stella, en passant par Pierre Soulages, Julian Schnabel ou Bernard Rancillac. Aujourd’hui, le monumentalisme n’est plus notre cheval de bataille, nous n’avons les moyens ni d’acquérir ni de consever de telles pièces. Elles témoignent clairement d’une autre époque.
L’une des forces principales du musée est également d’avoir su attirer un grand nombre de mécènes et de dons. Vous consacrez une exposition d’envergure, « Brand New ! », à des œuvres qui ont été offertes par des collectionneurs, des mécènes et des artistes. Comment expliquer autant de dons majeurs ?
Nous avons dernièrement fait grandir notre club des mécènes et avons pu faire en sorte que de nouveaux soutiens importants nous accompagnent, notamment l’entreprise Desjoyaux, qui nous permet de financer la restauration des quinze tableaux anciens dont nous avons parlé. Le musée conserve 23 000 œuvres dont la moitié est issue de libéralités. Dès le XIXe siècle, les notables stéphanois y déposaient leurs œuvres les plus précieuses. L’institution s’est véritablement construite sur la générosité de ces donateurs. Cela s’est accentué dans les années 1990, au lendemain de la construction du musée, qui a attiré énormément de publics et d’attention de manière tant locale, nationale qu’internationale. La Caisse des dépôts et consignations a donné les pièces emblématiques de sa collection. Vicky Rémy, collectionneuse et troqueuse exceptionnelle avec son magasin à Saint-Tropez, nous a confié en 1992 un fonds magnifique constitué de plus de 700 œuvres issues d’amitiés avec les tenants du Nouveau Réalisme, de Supports/ Surfaces, Fluxus – souvent basés dans le sud de la France – et de l’art conceptuel. Le Legs de Jacqueline Brauner a permis de faire entrer en collection 3 000 dessins et une centaine de peintures de Victor Brauner. Ninon et François Robelin ont donné vers 1995 un certain nombre d’œuvres d’artistes allemands et un fonds considérable de pièces d’Erik Dietman. La programmation que nous mettons en place, ouverte aux courants historiques, aux artistes reconnus ou injustement oubliés, est notre façon de créer des liens de confiance, à la fois avec des collectionneurs, toujours, et avec de plus en plus d’artistes eux-mêmes et leurs ayants droit qui nous confient leurs œuvres. C’est par exemple le cas de Charles-Henri Monvert ou de Max Wechsler.
Le musée conserve aussi un ensemble assez exceptionnel de pièces de design.
Nous conservons environ 2 000 objets de design, plus de 600 dessins ainsi que des fonds importants de designers comme Savinel & Rozé, Totem, Michel Mortier et René-Jean Caillette. Le musée est partie prenante d’un nouveau projet qui verra le jour début 2026, la Galerie nationale du design, dont j’assurerai la direction, en coopération étroite avec Éric Jourdan. Elle sera basée à la Cité du design et abritera une galerie permanente consacrée aux collections publiques de design. Nous organiserons des expositions annuelles, en conviant à chaque fois des commissaires extérieurs différents qui proposeront leur storytelling de l’histoire du design à partir des collections du Cnap [Centre national des arts plastiques] et du Centre Pompidou à Paris, du Frac Grand Large – Hauts-de-France à Dunkerque, du MAD [musée des Arts décoratifs] à Paris, du Madd [musée des Arts décoratifs et du Design] à Bordeaux et de la nôtre.
La photographie constitue un autre pan de la collection et de la programmation.
Selon moi, la photographie est un axe majeur. Nous possédons plus de 7 000 tirages qui remontent jusqu’à Nadar. Nous conservons des fonds anciens, comme celui des Éditions Paul-Martial sur la photographie industrielle. Nous détenons aussi des œuvres de Valérie Jouve, de Thomas Ruff et de plusieurs membres de l’école de Düsseldorf. Parmi les acquisitions récentes figurent James Welling, Nicole Gravier ou encore Jürgen Schadeberg. Nous exposons actuellement les images du Géorgien David Meskhi, une photographie peu connue en France, associant jeunesse et légèreté avec des captations d’athlètes défiant les lois de la gravité. Il est venu faire une résidence à Saint-Étienne, est intervenu dans les écoles et les lycées, et a fait tout un travail de workshop avec les élèves. Nous sommes très heureux d’accueillir cette exposition personnelle.
La collection présente par ailleurs un tropisme assez marqué pour les artistes hommes, occidentaux et blancs. Est-ce une chose que vous souhaitez corriger ?
Il est vrai que, remontant au XIXe siècle, elle ressemble à beaucoup de collections de musées de Beaux-Arts, à savoir qu’il y a une prédominance de cette typologie d’artistes. Nous nous posons en effet de nombreuses questions sur la suite des acquisitions. Bien sûr que la programmation valorise le travail d’artistes femmes, mais ce n’est pas suffisant. Aujourd’hui, 12 % des artistes de la collection sont des femmes, mais seulement 4 % des œuvres sont signées d’artistes femmes, ce qui est assez ridicule. Il sera difficile de redresser l’équilibre, mais nous nous attachons à donner un coup de projecteur sur cette problématique et à faire en sorte d’intégrer des femmes dans nos collections, notamment grâce au dépôt d’œuvres du Cnap. L’exposition « House of Dust », conçue par Alexandre Quoi en 2022, rassemblait uniquement des artistes femmes. Notre collection fortement centrée sur le mouvement Fluxus nous a montré qu’il nous manquait, par exemple, Alison Knowles, dont nous avons acquis il y a quelques années une œuvre importante qui s’appelle justement The House of Dust. Nous lui consacrerons en 2025 une exposition personnelle. Nos événements et nos acquisitions reviennent ainsi sur des moments de l’histoire de l’art qui doivent, selon nous, être corrigés, revus. Alison Knowles était là au tout début de Fluxus avec son mari Dick Higgins, elle a fait partie de la création de ce mouvement.
D’un point de vue géographique, la collection s’est un peu ouverte à l’Asie à un certain moment. Voulez-vous explorer davantage de territoires ?
Oui, bien sûr. Cela a été le cas avec l’exposition personnelle de l’artiste émirati Hassan Sharif, en 2021. C’était la toute première fois qu’un artiste du Moyen-Orient bénéficiait d’une monographie au musée. Nous avons ensuite acquis quelques œuvres. Dernièrement, nous avons fait l’acquisition de plusieurs dessins d’artistes iraniennes, à savoir Tirdad Hashemi et Armineh Negahdari. Pour nous, il s’agit de porter un regard sur d’autres scènes extraoccidentales, en l’occurrence, celles des artistes femmes, qui me semblent prendre une envergure notable ces derniers temps, comme on a pu le voir dans l’exposition du Palais de Tokyo, à Paris, sur tous ces artistes exilés. Les deux artistes dont je parle y participaient.
Pour le futur, vous portez aussi un projet d’extension du musée.
Cette extension est nécessaire depuis longtemps. Nous avons multiplié la collection par dix entre le moment de sa création et actuellement. Les réserves sont saturées. Et puis, il existe une vraie nécessité de parcours permanent des collections, qui couvrent un champ important de l’art entre la fin du XIXe et aujourd’hui. Nous avons besoin de plusieurs milliers de mètres carrés pour pouvoir déployer au mieux cet ensemble et faire en sorte que tout le monde puisse y avoir accès. C’est aussi l’obligation de tout Musée de France de montrer sa collection permanente. Nous le faisons grâce à des expositions annuelles, mais elles ne permettent pas d’avoir un aperçu global.
Quel budget ce projet nécessiterait-il ?
Pour une extension d’à peu près 10 000 m2 qui réunirait à la fois le parcours permanent, l’ensemble des réserves sur le site et nos bureaux, puisque nous sommes également à l’étroit, il nous faudrait environ 50 millions d’euros. Nous avons mobilisé une équipe de programmistes qui est en train de travailler sur une étude de programmation pour ce nouveau musée. Elle doit rendre sa copie à la fin de l’année 2025 afin de nous permettre de lancer un concours d’architectes en 2026.
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« Hors format. Collections en chantier», 9 novembre 2024-11 août 2025 ; « Brand New ! Dons récents aux collections », 9 novembre 2024-9 mars 2025 ; « David Meskhi. Our Son, My Moon » et « Espèces d’images. Les nouvelles pratiques de la photographie dans les éditions de la bibliothèque Jean Laude », 9 novembre 2024-16 mars 2025, musée d’Art moderne et contemporain – Saint-Étienne Métropole, rue Fernand-Léger, 42270 Saint-Priest-en-Jarez, mamc.saint-etienne.fr