C’est un nouveau marqueur de la Macronie qui essuie le feu des critiques. Dans un Premier bilan du Pass culture, publié ce 17 décembre 2024, la Cour des comptes analyse les résultats de ce dispositif destiné à favoriser l’accès des jeunes à la culture depuis son lancement. Voulu par le président de la République, le Pass culture a constitué « une politique prioritaire du ministère de la Culture depuis 2017. Après des phases d’expérimentations dans plusieurs départements, le Pass culture a été généralisé en 2021 à tous les jeunes de 18 ans sur l’ensemble du territoire français, puis étendu en 2022, aux jeunes âgés de 15 à 17 ans. Il permet de bénéficier d’un crédit individuel afin d’accéder à des activités ou à des biens culturels et artistiques. Le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse a également créé une part collective sous forme d’un crédit alloué à chaque classe au prorata du nombre d’élèves dès la classe de 6e », rappelle le rapport.
L’objectif du Pass culture, accessible via une application numérique, est de « favoriser l’accès à la culture en autonomie, encourager la diversité des pratiques, proposer des offres attractives et concourir à ce qu’elles soient présentées de manière personnalisée et localisée aux utilisateurs », poursuit la Cour.
« Sur le plan quantitatif, l’ambition d’universalité est en passe d’être réalisée avec 84 % des jeunes de 18 ans révolus qui utilisent le Pass culture, à fin août 2024, note le rapport. Au total, ce sont 4,2 millions de jeunes qui se sont inscrits sur l’application Pass culture depuis 2019. Cependant, 16 % des bénéficiaires potentiels, correspondant aux publics les moins familiers des pratiques culturelles, n’ont pas adhéré au dispositif. En ajoutant les 9 % des jeunes qui ont téléchargé l’application du Pass sans pour autant l’utiliser, au total, 25 % des jeunes n’ont pas bénéficié du Pass. Et les 75 % de jeunes qui ont utilisé leur Pass n’ont pas dépensé la totalité de leur enveloppe de 300 euros, mais en moyenne un peu plus de 250 euros. »
Autre point d’achoppement du dispositif : seuls 68 % des jeunes issus des classes populaires ont activé leur Pass. « L’objectif d’inscrire un nombre maximum de jeunes a ainsi jusqu’à présent prévalu sur l’objectif de démocratisation de l’accès à l’offre culturelle », cingle le rapport. Avec 36 000 offres, l’absence de sélectivité est également pointée du doigt. La Cour constate ainsi que 16 millions d’euros ont financé des activités d’escape games…
Outre cette « montée en charge rapide et inégale », le rapport décrit « un effet difficilement mesurable d’intensification des pratiques culturelles établies, dont la diversification demeure limitée ».
Si les livres représentent entre 42 et 55 % des montants dépensés chaque trimestre, le Pass culture est également utilisé pour réserver des places de cinéma et de concerts. Le spectacle vivant, en revanche, est à la peine, avec seulement 7 % des jeunes ayant réservé en moyenne au moins une fois un spectacle vivant autre que musical (théâtre, danse, cirque, etc.). En cause, notamment, le peu d’engouement des grands opérateurs publics du spectacle vivant, « réticents à s’ouvrir au public détenteur du Pass culture », avance le rapport, qui constate par ailleurs que « seuls 55 % des musées y sont inscrits ».
« Dès lors, le principal impact du Pass culture observé sur les premières cohortes se traduit plutôt par une intensification des pratiques culturelles déjà bien établies chez les jeunes. La médiation faiblement développée au sein de l’application ne permet pas de contrecarrer les inégalités structurelles préexistantes à l’accès à la culture », conclut la Cour.
Pour ceux qui découvrent de nouvelles activités culturelles grâce à ce dispositif, « une fois les crédits du Pass culture consommés ou expirés, les utilisateurs ne sont plus que 38 % à poursuivre les activités découvertes et 37 % à fréquenter les lieux fréquentés grâce à l’application ». Là encore, l’objectif initial de diversification des activités culturelles reste à atteindre.
De plus, la Cour des comptes dresse un bilan sévère du financement du Pass culture : « Sur le plan budgétaire, le Pass culture s’apparente à une dépense de guichet difficilement maîtrisable. Il était supposé au départ se financer grâce à des recettes importantes issues du secteur privé. Pourtant, hormis la contribution des fournisseurs d’offres au financement de la plateforme (4 % du volume d’affaires global entre 2019 et mi-2024), il est financé par l’État. La dépense budgétaire pour la part individuelle du Pass Culture s’établissait à 93 millions d’euros en 2021 et est prévue à hauteur de 244 millions d’euros en 2024. À cette dépense s’ajoutent les 80 millions d’euros (prévisions 2024) de la part collective, financée par le ministère de l’Éducation nationale. »
La Cour suggère plusieurs pistes d’économie : « la réduction du montant du crédit alloué aux jeunes de 18 ans (actuellement 300 euros par bénéficiaire) ou le ciblage des bénéficiaires selon des critères sociaux ou territoriaux. »
En conclusion de ce premier bilan, le rapport préconise de « revoir en profondeur » la gouvernance du Pass culture. « La transformation de la société Pass culture en opérateur de l’État, recommandée par la Cour dans son rapport de juillet 2023 sur la genèse du Pass culture, a été annoncée par le ministère de la Culture pour 2025. À terme, l’internalisation des activités et agents de la société Pass culture au sein du ministère de la Culture permettra un meilleur pilotage du dispositif, ainsi qu’une meilleure information du Parlement et des citoyens grâce aux documents budgétaires annexés à la loi de finances. »
« Enfin, et en toute hypothèse, il n’apparaît pas opportun d’envisager de nouveaux axes de développement des missions du Pass culture dont le dispositif doit être consolidé et amélioré », ajoute la Cour. À défaut d’engager cette réforme en profondeur que la juridiction appelle de ses vœux, l’existence même du Pass culture pourrait être remise en cause dans un contexte de finances publiques fortement dégradées.