En regardant au loin depuis la colline de Gerovouno, on aperçoit à l’horizon, se détachant sur le ciel, le Parthénon dressé sur l’Acropole, symbole de cette Grèce antique et éternelle, de son apport politique et artistique au monde. C’est ici, au pied du mont Parnitha, sur un terrain situé à 175 mètres au-dessus de la mer – dominant ainsi le site historique de 19 mètres –, que Takis (1925-2019) a décidé d’installer ses résidences d’été et d’hiver, mais aussi un atelier et des locaux pour accueillir ses amis. Autrefois implanté dans la campagne proche de la capitale, le lieu s’insère dorénavant dans un banal quartier résidentiel bâti à flanc de colline.
UNE ŒUVRE MAGNÉTIQUE
Takis a planté sur sa parcelle des oliviers, tout en conservant son aspect originel de terre et de roche, lui qui n’aimait ni l’herbe ni les fontaines. Il y a tout de même fait construire une piscine et un théâtre en plein air, volontairement dépourvu de sièges, lequel proposait une expérience immersive mêlant art, science et nature. L’artiste a toujours souhaité rendre visible l’invisible, ces forces fondamentales que l’on peut ressentir sans les voir, mettre en évidence les champs magnétiques qui structurent le monde. Il avait justement choisi ce site pour son magnétisme particulier. L’artiste grec a délibérément placé son œuvre entre la terre et le ciel, et, dans ce pays baigné de lumière, il a conçu des sculptures constituées de barils de pétrole portant des panneaux solaires pour alimenter en électricité les lieux, dans une volonté constante de se situer à la pointe de la technologie et de mettre en œuvre les énergies invisibles. Dès 1986, Takis crée ici le Centre de recherche sur l’art et les sciences (KETE), connu aujourd’hui sous le nom de Fondation Takis-KETE. Depuis la mort de l’artiste en 2019, la structure continue à promouvoir un travail de recherche croisée entre la science et l’art en organisant, en particulier, des séminaires centrés sur ces domaines. Elle accorde notamment des bourses à des artistes, accomplit également un travail de fond sur l’œuvre du Grec, assurant sa diffusion et sa promotion. Le site d’Athènes est ouvert au public, et plus particulièrement aux élèves des écoles et des établissements d’enseignement supérieur.
Dans les espaces intérieurs qu’occupe la Fondation, mais aussi tout autour des bâtiments, est déployé un important ensemble d’œuvres de Takis de différentes périodes. Elle dévoile en particulier les Signaux, que l’artiste grec commence à réaliser après avoir eu une révélation en gare de Calais, en 1955. Lors de ce voyage en train, il découvre les signaux lumineux et autres sémaphores qui régulent le trafic ferroviaire, lesquels l’influenceront profondément pour une série au long cours d’œuvres conçues à partir de tiges mobiles, ou non, parfois surmontées de dispositifs lumineux. Cette origine est souvent soulignée formellement par la présence d’une section de rail soudée sur la base de la sculpture. La Fondation expose ces pièces tant en extérieur, notamment dans le théâtre en plein air, que dans l’ancienne maison de Takis. Certaines présentent à leur sommet des morceaux d’obus, que l’artiste avait collectés autour de sa propriété. Il s’agit principalement de vestiges de la Seconde Guerre mondiale et des combats contre l’armée de l’Allemagne nazie, mais aussi de la guerre civile qui a embrasé le pays entre 1946 et 1949. Ce conflit avait particulièrement marqué Takis. En intégrant ces débris d’armes de destruction, il leur donnait une nouvelle dimension de réconciliation, de renouveau et de poésie.
La Fondation conserve également nombre de créations qui font intervenir des aimants et tirent parti de leur magnétisme, que ce soit les Murs magnétiques, panneaux au-dessus desquels sont suspendus des objets métalliques grâce à la force magnétique, des Télésculptures qui mettent en œuvre de petits éléments en métal, des aiguilles ou des fils d’acier, ou encore des Hydromagnétiques, jouant à la fois de l’eau et du champ magnétique pour former des compositions cinétiques à partir de particules métalliques flottantes. La Fondation présente une quantité d’autres œuvres de l’artiste, par exemple des panneaux arborant de multiples cadrans, de même que des pièces dans un tout autre style, de la série Erotic, parfois sexuellement explicites, qu’il conçoit dès les années 1970.
UN EXPÉRIMENTATEUR
Takis s’installe à Paris en 1954, rue d’Odessa, dans le 14e arrondissement de Paris. Il y fréquente un grand nombre d’artistes, notamment Jean Tinguely, un pionnier comme lui de l’art cinétique avec ses œuvres en mouvement, mais également Yves Klein, passionné par le magnétisme et les forces invisibles. Le Grec, qui a beaucoup regardé l’art cycladique, a aussi été influencé par Alberto Giacometti, dont il visite l’atelier à Paris. White Cube, qui consacre à Takis l’exposition « Le Vide » dans sa galerie parisienne, présente en particulier un Signal de 1955 dont l’une des tiges arbore une forme en métal qui rappelle justement les Nez d’Alberto Giacometti.
Non loin, l’accrochage met en exergue Espace intérieur (1957), une sphère en bronze dont la surface est texturée. Son aspect ovoïde peut être associé à une certaine idée de perfection, tout en évoquant le cosmos, les astres et les planètes. C’est à un autre univers qu’appartiennent les Télépeintures, dont celle de 1960 ici exposée : la toile blanche dissimule sous sa surface des aimants qui viennent attirer par leur magnétisme des formes coniques en métal lesquelles semblent comme en lévitation, ne touchant jamais la surface picturale. Dans une autre salle de la galerie sont rapprochés trois Signaux, deux de 1980 et un de 2002, et deux œuvres murales, Télémagnétique vibratif, de 1963, animée par des mouvements subtils, et Magnetic Relief (1975), dont les champs magnétiques constants assurent à la composition une parfaite immobilité.
L’exposition se conclut par deux œuvres de la série Musical, respectivement de 1965 et 1968. Elles témoignent d’un autre aspect primordial dans le travail du Grec, à savoir ses recherches sur le son et la musique. L’artiste a même lié des amitiés avec des musiciens tels que John Cage, Iannis Xenakis ou Pierre Henry, ce qui l’a conduit à concevoir des œuvres sonores. Le son naît ici des effets d’un champ magnétique, produit par le contact aléatoire d’une tige en acier sur une corde métallique. Les tonalités qui en résultent plongent l’espace d’exposition dans une atmosphère zen et méditative, et renforcent la dimension expérimentale de l’œuvre de Takis, sans cesse au croisement de l’art et de la science, du visible et de l’invisible.
*1 Fondation Takis, Terma Dervenakion Str., Gerovouno, Athènes, Grèce, takisfoundation.org/fr
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« Takis. Le Vide », 21 novembre 2024-11 janvier 2025, White Cube Paris, 10, avenue Matignon, 75008 Paris, whitecube.com