À Anvers, plusieurs expositions déployant un large panorama des techniques utilisées par James Ensor clôturent les célébrations du 75e anniversaire de sa mort, parmi lesquelles : « Ensor and the Graphic Experiment*1» au Museum Plantin-Moretus, « Mascarade, maquillage & Ensor*2 » au ModeMuseum, « Ensor, rêves fantasques. Au-delà de l’impressionnisme » au musée royal des Beaux-Arts d’Anvers (KMSKA) et « Cindy Sherman. Anti-Fashion » au FotoMuseum (FOMU).
JAMES ENSOR AU KMSKA
Possédant la plus importante collection d’œuvres de James Ensor (1860-1949) au monde, dont la connaissance est alimentée par l’Ensor Research Project*1, le KMSKA a voulu resituer le peintre ostendais dans le contexte artistique de son époque. Il en résulte l’ambitieuse exposition « Ensor, rêves fantasques. Au-delà de l’impressionnisme », confrontant ou faisant dialoguer son œuvre avec celle de ses contemporains, tels les Français Claude Monet et Édouard Manet, l’Allemand Emil Nolde, le Norvégien Edvard Munch ou encore le Suédois Ernst Josephson. Bien qu’il se soit souvent rendu à Bruxelles – il avait pour ambition de devenir l’artiste d’avant-garde de son pays –, James Ensor a longtemps travaillé seul dans son petit atelier d’Ostende. On pourrait dès lors l’imaginer très éloigné des artistes de son temps ; or, son œuvre reflète les bouleversements artistiques et culturels qui se sont succédé en cette fin du XIXe siècle. Grâce au Groupe des XX, créé en 1893, Bruxelles occupe une place de choix dans ces mouvements d’avant-garde. James Ensor en est un des fondateurs avec, entre autres, Fernand Khnopff, rejoints plus tard par Félicien Rops, Paul Signac et Auguste Rodin notamment.
Cette exposition d’envergure s’attache à montrer comment James Ensor incorpore les influences tant historiques que modernes dans sa peinture – ainsi du spectaculaire et lumineux tableau Adam et Ève chassés du Paradis terrestre, qualifié de postimpressionniste – et dans quelques-uns de ses magistraux dessins, dont La Tentation de saint Antoine. Ces deux œuvres datent de 1887, une année charnière où la couleur trouve une place primordiale dans ses tableaux, le peintre ostendais ayant abandonné les ombres composées de teintes telluriques qui caractérisaient ses œuvres. Ses couleurs se raffinent, et leurs associations se font de plus en plus subtiles, conférant à ses toiles, comme à ses dessins, un pouvoir d’expression des plus personnels. C’est particulièrement remarquable dans le traitement qu’il applique à ses Squelettes et plus encore à ses célèbres masques. Son langage visuel s’appuie désormais sur une iconographie fantaisiste et burlesque, parfois terrifiante – à l’instar de celle de son aîné Félicien Rops –, d’où émergent dorénavant de nouvelles visions du bien et du mal, de la volupté et du désir. Les masques ne sont pas qu’un élément décoratif ou qu’une dissimulation d’identité, ils constituent plutôt un des moyens privilégiés du peintre pour dévoiler la nature profonde de l’être humain.
CINDY SHERMAN AU FOMU
L’autre exposition d’importance est celle que le FotoMuseum consacre à Cindy Sherman : « Anti-Fashion ». Elle prend la forme d’une vaste rétrospective de plus d’une centaine d’œuvres, allant des séquences d’influences conceptuelle et performative des années 1970 aux images les plus récentes (depuis les années 2010 jusqu’aujourd’hui), dont la série Men, la première incursion de l’artiste dans le monde de la masculinité. L’ensemble est divisé en cinq sections chronologiques correspondant aux cinq décennies que recouvre son travail. Les murs sont blancs, l’accrochage épuré, le parcours limpide, l’éclairage neutre et direct, l’exact inverse de la scénographie du KMSKA dont l’habillage des salles rappelle les décors surchargés des intérieurs bourgeois belges du XIXe siècle.
Quel lien avec James Ensor ? Une même iconographie du burlesque, de la fantaisie, du fantastique ou du terrifiant, celle des séries Disasters (1986-1989) et Sex Pictures (1992), par exemple, qui ont fait polémique en leur temps. Hormis ce lien quelque peu contraint (l’exposition n’est pas une production du FOMU pour la célébration, mais une reprise de celle organisée auparavant par la Staatsgalerie, à Stuttgart), cette impressionnante monographie explore la tension autant que le dialogue constant de l’œuvre de Cindy Sherman avec l’univers de la mode, entre fascination et répulsion, échange et critique, influences et détournements, attirance et rejet.
Si la mode constitue bien l’un des fils rouges de l’artiste américaine, cette dernière puise avant tout son inspiration dans la culture visuelle des médias de masse que sont le cinéma, la télévision, la publicité, mais aussi les contes pour enfants, sans négliger Internet et les réseaux sociaux. Il en résulte une œuvre photographique aux multiples facettes, à la mesure de tous les autoportraits, qui la constituent autant qu’elles l’identifient au premier regard, quels que soient l’arrière-plan utilisé et la mise en scène choisie. Si Cindy Sherman collabore régulièrement avec de grandes maisons et des magazines de mode parmi les plus réputés – plusieurs de ses images sont des commandes –, la mode fonde surtout le socle de ses recherches incessantes sur ce qu’elle considère comme les attentes de la société en matière de canons de beauté, d’âge, de genre et bien entendu d’identité.
Cette œuvre des plus ambivalentes se nourrit du monde de la mode tout en allant le plus souvent à l’encontre des conventions qui dominent cet univers. Ces clichés provocants, au moment de leur publication ou de leur exposition, se caractérisent par l’absence de glamour ou d’élégance. Derrière ces images parfois glaçantes ou paradoxalement désincarnées se dissimule pourtant un important travail de technique – argentique d’abord, numérique désormais –, de mise en scène et d’élaboration de costumes et de maquillage qui font de Cindy Sherman une de ces figures marquantes aux confins, tout aussi ambigus, de la photographie et des arts plastiques.
*1 « Ensor and the Graphic Experiment », 4 octobre 2024-19 janvier 2025, Museum Plantin-Moretus, museumplantinmoretus.be
*2 « Mascarade, maquillage & Ensor », 4 octobre 2024-2 février 2025, ModeMuseum, momu.be
*3 kmska.be/en/ensor-research-project+
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« Ensor, rêves fantasques. Au-delà de l’impressionnisme », 28 septembre 2024-19 janvier 2025, musée royal des Beaux-Arts, Leopold de Waelplaats 1, 2000 Anvers, kmska.be ;
« Cindy Sherman. Anti-Fashion », 4 octobre 2024-2 février 2025, FotoMuseum, Waalsekaai 47, 2000 Anvers, fomu.be