Dans quel milieu êtes-vous né ?
Je suis né à Gênes en 1937. Je suis ce qu’on appelle « un fils de la guerre ». Mon ami le compositeur Fabrizio De André disait « un figlio del temporale » [un fils de l’orage]. Mon père avait une petite entreprise de construction. Dans la famille, tout le monde était constructeur : mon grand-père, mon père, mes oncles, mon frère. Lorsque vous venez d’une telle lignée, c’est comme naître dans une famille de circassiens, votre destinée est tracée. Mais quel que soit votre parcours, vous vous rendez compte par la suite que vos origines sont profondément gravées en vous. Je dis cela sans nostalgie, je ne suis pas nostalgique, cela ne sert à rien de l’être. Pierre Boulez me disait toujours : « La nostalgie, c’est une maladie ! » On peut regarder le passé sans aucune nostalgie. Ce qui vous tient vivant, ce n’est pas ce que vous avez fait, mais ce que vous devez encore faire.
Vous avez donc failli être « constructeur »…
Après la guerre, quand j’avais 7 ou 8 ans, mon père m’emmenait sur les chantiers. J’y ai passé des après-midis entiers, assis sur un tas de sable, à regarder les ouvriers travailler. Cela vous marque. Quand je revenais le lendemain, le tas de sable était devenu un mur ou un poteau. Il avait servi à « construire ». Ça relève du miracle ! Puis, lorsque vous grandissez, vous apprenez que l’art de bâtir est l’une des premières activités de l’homme, avec la chasse et la pêche, et l’un des premiers arts de l’humanité : créer un abri pour protéger son corps.
Plus que « constructeur », vous vouliez devenir architecte…
Vers 18 ou 19 ans, j’ai annoncé à mon père que je souhaitais être architecte. Lui, qui était un taiseux, m’a regardé interloqué et m’a demandé : « Ma perché ? » [Mais pourquoi ?] Basta, fin de la discussion. J’ai compris qu’il voulait me dire : « Tu peux être un petit dieu du bâtiment, un homme qui conçoit, calcule et construit. Et toi, tu veux te contenter d’être celui qui conçoit ? » De ma vie entière, je n’ai oublié ce moment. C’est d’ailleurs pourquoi mon agence s’appelle Renzo Piano Building Workshop [building signifie « construire »].
Quel a été votre premier souvenir d’architecture ?
Bien qu’il soit un pur Génois, mon père était davantage un homme de la terre que de la mer. Néanmoins, il m’emmenait souvent au port. C’est une époque où il n’y avait pas encore de containers. Tout était suspendu, c’était magnifique. Un port est comme une ville. D’ailleurs, en français, n’appelle-t-on pas les bateaux des « bâtiments » ? Mais ici, un bateau part, un autre arrive, les « bâtiments » bougent tout le temps. La « ville » change de profil du matin au soir. Par ailleurs, rien ne touche terre : les bateaux flottent. Ils se dédoublent même en se reflétant à la surface de l’eau. Il y a quelque chose de magique. Le poète Joseph Brodsky, qui a vécu à Venise, écrivait : « L’eau rend les choses belles. » Quoi qu’il en soit, toutes ces images composaient un mélange dans lequel je me perdais, et il est bon aussi de se perdre. Voilà ce qu’a été pour moi l’origine. Dans les yeux d’un enfant, cela s’imprime de façon mystérieuse mais indélébile. Je ne sais plus quel scientifique a dit qu’à l’âge de 8 ans, un enfant a déjà capturé l’essentiel de ce qui constituera son imaginaire.
Vous optez donc pour des études d’architecture à l’Università degli Studi de Florence, ville que vous quittez pour rejoindre Milan. Pour quelles raisons ?
J’habitais alors dans la périphérie de Gênes, mais j’étais épris de liberté. La protesta, c’est-à-dire l’entrée en conflit avec ses parents, est ce que j’appelle la méthode « bon marché ». L’autre solution pour s’émanciper, la façon la plus simple en réalité, est de quitter sa famille et sa maison. Je suis parti à Florence parce qu’il n’y avait pas d’école d’architecture à Gênes. En première année, je n’étais pas bon, pas très intelligent, j’étais même plutôt un âne. Je trouvais la ville un peu trop parfaite, et cela me paralysait. J’ai décidé de suivre ma deuxième année à Milan. C’était tout l’opposé de Florence. Elle est beaucoup moins belle certes, mais, selon moi, c’est la ville la plus intéressante d’Italie – aujourd’hui encore d’ailleurs –, où soufflait un air de liberté.
Pourquoi avez-vous souhaité travailler auprès de l’architecte Franco Albini, un maître du rationalisme italien ?
Il travaillait comme un artisan, et je trouvais cela très intéressant. J’avais, d’une part, une grande confiance en moi et, d’autre part, j’étais une vraie tête de mule. Après plusieurs tentatives, il m’a engagé. Je me souviens de son studio de la Via XX Settembre [à Milan]. À mon arrivée, une chose incroyable s’est déroulée : il m’a demandé d’aller acheter un téléviseur de la marque Brionvega, de le démonter entièrement et de le remonter autrement. J’ai passé l’après-midi à le démanteler pièce par pièce – il y en avait une centaine – en prenant soin de les ranger dans un ordre merveilleux. Le soir, à son retour, Franco Albini était effaré par mon rangement. Il m’a dit : « Maintenant, vous pouvez le remonter, mais pas de la même façon. » Démonter, c’était pour comprendre, et remonter, pour le faire de manière plus simple, plus claire. C’est un exercice que je n’ai pas oublié.
Vous vous inscrivez au Politecnico de Milan. Pourquoi ce choix ?
J’appréciais qu’on y mélangeât architecture et art de construire. Le début des années 1960 était, en Italie, bien avant Mai-68 en France, une époque d’occupation (pacifique) des universités. Le jour, je travaillais pour Franco Albini, chez qui j’apprenais le métier, le soir, j’étais l’un des occupants. On s’instruisait dans le chaos, on discourait sur l’art de bâtir et sur la poétique de la construction. D’un côté, la tekhnè, de l’autre, la poïesis. À vrai dire, c’est pareil dans plein de domaines : la littérature, la musique, le cinéma… Je ne connais pas un seul grand artiste, ou grand scientifique, qui ne s’occupe pas des moyens dont il a besoin pour arriver à ses fins. Avec les cinéastes, je discutais lumière, appareils de prise de vue… Avec mon ami le pianiste Maurizio Pollini, qui est décédé en mars 2024, nous échangions sur la façon dont était construit son piano Steinway, sur la tension des cordes, etc., et ce, en reliant toujours d’une manière incroyable l’idée avec le moyen.
Quelle était alors l’ambiance au Politecnico ?
À cette époque, si vous deveniez architecte, c’était pour changer le monde. Ce qui semble complètement déraisonnable… mais pas tant finalement. J’y ai appris que, pour changer le monde, il fallait discuter avec les gens dans la rue, regarder la course du soleil ou le rythme des saisons, et non se complaire dans des formes. Peu à peu, vous ressentez un désir de lumière et de transparence qui n’a rien à voir avec un quelconque « style » – le style est une cage dorée. L’architecture marie, outre la tekhnè et la poïesis, l’ethos, autrement dit votre manière d’être, les valeurs auxquelles vous croyez. C’est ce mélange formidable qui fait que le métier d’architecte est tout sauf un métier frivole. Je repense au « ma perché ? » de mon père. Architecte est, au contraire, un métier d’une grande force et d’une grande noblesse. Il est aussi extrêmement difficile. Les erreurs que l’on peut faire sont très dangereuses, car elles restent bâties.
Vous sortez diplômé en 1964, cependant vous ne construisez pas tout de suite.
Je n’ai pas fait d’architecture pendant quatre ou cinq ans. J’ai conçu des structures expérimentales légères. J’ai bâti des « abris », nobles et beaux. J’expérimentais notamment avec mon frère Ermanno, de dix ans mon aîné, à qui je dois beaucoup. Ensemble, nous avons réalisé le pavillon de l’industrie italienne pour l’Exposition universelle de 1970 à Osaka, au Japon. Je suis parti à l’University of Pennsylvania, à Philadelphie, aux États-Unis, où enseignait l’ingénieur français Robert Le Ricolais. Dans son laboratoire, il faisait des expériences sur les structures spatiales en tension. Je n’y œuvrais pas comme théoricien, je tirais juste des câbles jusqu’à leur point de rupture. Lui était un génie. Un jour, il m’a invité à boire un thé et m’a présenté à l’architecte Louis Kahn par ces mots : « Prends ce jeune, il n’est pas bête ! » Celui-ci m’a embauché pour travailler sur le projet de l’usine Olivetti Underwood, à Harrisburg, en Pennsylvanie. Je me suis occupé de la toiture et des puits de lumière. Après une semaine, Louis Kahn est venu « contrôler » mon ouvrage. Il m’a tendu la main en me disant : « My name is Lou ». Aux États-Unis, c’est comme si vous prononciez : « On peut se tutoyer. » J’y suis resté quelques mois.
À la fin des années 1960, vous rentrez en Europe pour vous installer à Londres où vous rencontrez l’architecte Richard Rogers, avec lequel vous fondez l’agence Piano & Rogers. Comment cela s’est-il passé ?
Richard était pour moi comme un frère. Il était né en Italie, nous échangions donc en italien, ce qui m’a énormément aidé. J’ai été touché par son éthique et par sa volonté de rébellion – encore la Protesta ! Nous étions deux fous mal élevés qui se sont trouvé des affinités. Nous tirions notre force de cette protesta et du plaisir de bâtir. Et, secrètement, de notre amour pour la beauté. Cela a fonctionné tout de suite. J’étais un peu plus du côté de la technique, lui de la théorie, nous nous complétions bien. Nous avions toujours cette triple curiosité : tekhné, poïesis et ethos. Nous n’étions pas des barbares, au contraire, nous avions les pieds bien sur terre. Nous étions cultivés et adorions la culture. Tous les vendredis, avec nos familles respectives, nous allions écouter des concerts dans les rues de Londres. Il n’y a pas eu, ici, de Mai-68, néanmoins, il y soufflait un vent de liberté : cheveux longs et jupes courtes. On était tous des Beatles !
À cette époque – j’avais 32 ans –, j’enseignais à l’Architectural Association School of Architecture, à Bedford Square. J’emmenais les étudiants dans le square d’à côté pendant ses heures d’ouverture, et, avec des clous, des marteaux et des morceaux de bois, ils devaient construire un abri à la main. C’était une sorte de « squat de jour » : à 10 heures, ils commençaient ; à 16 heures, tout était démonté. Ils comprenaient alors que leur métier consisterait à bâtir. Nous mettions en scène la protesta, la « rébellion », et la proposta, la « proposition », en érigeant des structures temporaires comme des promesses de bonheur pour la communauté.
En 1971, votre agence a remporté le concours du futur Centre Pompidou, parmi 681 candidatures internationales. Savez-vous pourquoi ?
Nous avons gagné parce que nous étions fous ! J’ai concouru avec Richard car j’appréciais le président du jury, Jean Prouvé. Dans ma vie, plusieurs personnes ont été des exemples : en premier mon père, puis mon frère Ermanno, ensuite l’architecte américain Richard Buckminster Fuller et… Jean Prouvé. Ce dernier aimait la protesta. D’ailleurs, il n’était pas architecte, mais ingénieur et bâtisseur. Faire un grand lieu culturel à Paris n’était pas idiot. Il faut rappeler que, avant ce concours, [le ministre de la Culture] André Malraux avait eu l’idée, après Mai-68, de créer des maisons de la culture qui regrouperaient tous les arts : peinture, cinéma, architecture, photographie… Nous avons, pour ainsi dire, repris cette idée.
Comment vous y êtes-vous pris ?
À l’époque, nous gérions une petite agence de quatre ou cinq personnes qui n’avait pas beaucoup de travail. Selon les termes du concours, il fallait occuper l’ensemble de la parcelle dite « plateau Beaubourg », en respectant la hauteur des immeubles alentour. Nous voulions absolument réaliser une place devant le bâtiment, un endroit où les gens pourraient se rencontrer. Toutes les villes du monde ont des monuments avec une place. Nous pensions à ce paysage en pente qu’est la Piazza del Campo à Sienne. Or, si nous faisions une place sur la moitié du terrain, il fallait logiquement que l’édifice soit deux fois plus élevé. En regard du cahier des charges, c’était d’une désobéissance totale, mais nous y sommes allés ! Nous avons répondu au concours non pas pour le gagner, mais pour suivre nos convictions. Sincèrement, nous avons eu beaucoup de plaisir à le concevoir. C’était comme avoir une baguette magique pour faire ce que nous voulions. Nous avons imaginé le projet de nos rêves justement parce que nous pensions ne jamais gagner !
Et pourtant, vous l’avez emporté. Comment a réagi le président de la République ?
M. Georges Pompidou nous a invités à l’Élysée. J’avais demandé que l’on me prête une veste. Richard en avait une, mais il portait un tee-shirt sous celle-ci. Lui avait 36 ans, moi 33, nous étions des gamins ! Lorsque le président nous a vus, il a certainement dû être surpris, mais il a accepté le choix du jury. Il nous a interrogés : « M. Piano, M. Rogers, avez-vous compris que ce bâtiment va durer 500 ans ? » Nous lui avons répondu : « Oui, monsieur, nous avons compris. » C’était amusant, parce qu’à cet âge, vous n’avez fait que des projets pour votre grand-mère ou votre tante, des choses très éphémères qui ne résistent pas plus de six mois. En sortant sur le perron, nous nous sommes regardés et nous sommes exclamés : « 500 ans ? Pourquoi seulement 500 ans ?! » C’est dire combien nous étions fous ! Cela dit, le Centre Pompidou sera là au moins 200 ans, car s’il y a une chose qui fonctionne bien en France, c’est la culture.
Ce brin de folie était, semble-t-il, partagé…
Nous étions une sacrée bande de fous ! Nous les architectes, mais aussi les ingénieurs Ove Arup et Peter Rice qui revenaient du chantier de l’Opéra de Sydney. Ainsi que les personnes du Centre Pompidou [appelé alors Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou] : Jean-Pierre Seguin pour la BPI [bibliothèque publique d’information], Pierre Boulez pour l’Ircam [Institut de recherche et coordination acoustique/musique], Pontus Hultén pour le musée et Robert Bordaz, le premier président du Centre, un homme d’un grand courage. Le président de la République et surtout sa femme, Claude Pompidou, qui était très présente, ont aussi eu beaucoup de courage. Toutes les planètes se sont alignées, et cela a fonctionné !
Au final, nous avons conçu un bâtiment ouvert et accessible à tous, pour que les gens s’y rencontrent et partagent les mêmes valeurs. Un édifice inscrit dans la ville : grâce à l’escalator en façade, les visiteurs la découvrent lentement. Ils peuvent, en outre, jouir du rapport entre la ville et le bâtiment. Vous êtes, par exemple, dans l’exposition sur le surréalisme, et, soudain, des parois vitrées s’ouvrent vers le nord. L’art et la ville se mélangent, et c’est bien, car ainsi naît la poésie. Cet édifice est un summum de liberté.
Le 30 août 2013, vous avez été nommé « sénateur à vie » de la République italienne par le président Giorgio Napolitano. Est-on également « architecte à vie » ?
Je dis toujours que je veux mourir sur le chantier. Et dans le cas où cela se passerait ailleurs, je veux que l’on me ramène immédiatement sur un chantier ! Oui, on est architecte « à vie », il n’y a aucune raison de s’arrêter. L’agence est pour moi un plaisir. Quand j’arrive le matin, je fais à peine trois mètres que la danse commence. Je croise telle personne, ou telle autre vient me voir, on se rencontre, c’est génial !
Une agence est aussi le lieu où se brassent les idées. Comment naît une idée ?
Depuis l’enfance, je sais qu’il y a toujours un moment où vous avez une idée. Je me souviendrais toute ma vie de cette première fois. J’étais à une table dans ma chambre et je construisais une maquette avec des morceaux de bois récupérés. Mon frère aîné est entré et m’a dit : « È Bello, Renzino ! » [C’est beau, petit Renzo ! ] Je suis demeuré coi. Pour les idées aussi, il y a une première fois, comme pour le premier baiser ou la première fois que vous faites du vélo sans stabicycles ou que vous êtes capable de nager. Reste qu’il faut toujours avoir quelqu’un à vos côtés pour vous le faire remarquer : un frère, un père, une sœur ou un enseignant qui vous dira « Bravo ! »
À l’agence, je mets mon nez partout, un peu trop peut-être. Certes, à mon âge, j’ai sans doute une capacité de synthèse plus facile. Mais le secret, en réalité, c’est l’échange. À la fin d’une conversation, il y a systématiquement une idée qui demeure et, en général, si elle reste, c’est qu’elle est bonne. Si elle est encore vivante un mois après, c’est qu’elle tient vraiment la route, il n’y a pas de mystère.
Comment voyez-vous votre agence ?
J’ai aujourd’hui un certain âge, 87 ans, et il est très important de regarder ce qui s’y passe. Une agence est comme un fil : lorsque l’on a débuté, ce fil vibrait avec de fortes ondulations, puis, peu à peu, il a trouvé sa partition. Il est devenu calme et horizontal et, surtout, il dure. Il y a vingt-cinq ou trente ans, l’agence n’était pas trop grande. Aujourd’hui, il doit y avoir entre 120 et 140 employés. Personne n’ose me dire exactement le chiffre parce qu’ils savent que j’ai une théorie : ne pas dépasser la centaine. C’est, pour moi, un nombre magique au-delà duquel je trouve que la communication se fait moins bien.
Notre agence est une agence partagée, et une agence partagée par tous ses collaborateurs est une bonne structure. Nous en sommes la preuve vivante. Travailler ensemble est une force. Si vous cherchez à devenir un « starchitecte », vous êtes perdu ! L’agence possède une réelle éthique. Nous sommes très attachés à l’art de construire et à l’art de l’architecture. Nous sommes des bâtisseurs au sens noble du terme : ceux qui bâtissent des abris pour les gens et la communauté. C’est très important et même nécessaire, pour moi, de ressentir cela.
L’agence Renzo Piano Building Workshop (RPBW) fête ses 40 ans. Songez-vous à passer le relais ?
Regardez, j’ai toujours un crayon dans ma poche, mais ce n’est pas celui du « grand maître ». La créativité n’est pas le fait d’une unique personne, elle est partagée. Ce n’est une question ni de démocratie ni de pouvoir de décision, c’est juste la vérité. Il y a déjà vingt-cinq ans que j’ai commencé à partager. À mon âge, ce qui importe, c’est de vérifier si la réflexion est encore basée sur la poésie, l’art de bâtir et l’éthique ; d’observer comment la cohérence prend place, comment le « fil rouge » se poursuit, se transforme, se transmet. Je vous présente deux jeunes architectes associés de l’agence : un Espagnol, pardon, un Catalan, Albert Giralt, et un Italien, Daniele Franceschin. À eux de vous raconter comment se déroule la transmission.
En guise de conclusion à cet entretien, la question sera la même pour vous deux : comment voyez-vous la suite de l’agence RPBW ?
Daniele Franceschin : Renzo Piano est une encyclopédie vivante, ce serait dommage de ne pas conserver cet héritage. L’agence est fondée sur des valeurs que l’on partage tous de manière chorale et collégiale : un même regard et une sensibilité commune. Nos bâtiments sont des réponses immédiates dans la ville : ce n’est pas du fonctionnalisme, encore moins du « style ». Il s’agit davantage d’une philosophie, d’une méthode de travail. Au sein de l’agence, il est très difficile de savoir qui a eu l’idée première. Ce qui nous importe est plutôt de savoir ce que l’on en fait. Là est le défi. Il est intéressant de voir comment l’agence a su, au fil du temps, se renouveler en conservant le questionnement humaniste originel, sans se cantonner dans des problématiques formelles, et comment tout cela perdure et permet d’être toujours à l’avant-garde.
Albert Giralt : Nous sommes davantage héritiers d’une « méthode » que d’une « écriture ». Certes, Piano est Piano. Renzo a construit beaucoup de projets. D’aucuns y lisent une « écriture », mais il n’y a pas de volonté expresse. Elle s’établit malgré nous et s’établira même sans lui. Elle est juste le résultat d’une méthode, d’une manière de regarder les choses et de les interroger. Les bâtiments que produit l’agence sont très engagés avec la ville et avec les gens. Ils arborent une certaine légèreté, cherchent à attirer la lumière à l’intérieur, à s’ouvrir plutôt qu’à se refermer. Cette méthode continuera à irriguer notre architecture.
La transmission s’effectue progressivement. Notre système de fonctionnement évolue quotidiennement, tout comme le rôle de chacun. Les conseils et les intuitions de Renzo Piano nous sont certes précieux, mais rien n’est gravé dans le marbre. Renzo, qui adore le bateau, use souvent de métaphores marines : « Si l’on ne fait pas attention, on peut virer d’un degré chaque demi-heure », dit-il. À nous de continuer à maintenir le cap sur les valeurs fondamentales, et seul le collectif pourra garantir la bonne direction !
* Le maître se porte bien.
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