L’Usina de Arte a inauguré la semaine dernière la 51e installation permanente de son parc de sculptures, Árvore - Fósforo (Arbre - Allumette) de l’artiste brésilien d’origine libanaise Camille Kachani. L’œuvre, réalisée à partir d’un tronc d’arbre en partie calciné, porte en elle la dualité qui imprègne sa production, la rencontre entre la nature et la culture. Haut de près de 5 mètres, le tronc brûlé peut être le résultat d’un incendie naturel, mais en prenant la forme d’une allumette sous la main de l’artiste, l’arbre devient un objet de culture, un instrument utilisé pour alimenter le feu destiné au chauffage et à la cuisson des aliments. Déjà exposée sur des places publiques à Rio de Janeiro en 2014 et à São Paulo en 2019, la sculpture dénonce les agressions de l’homme sur la nature, et notamment les nombreux incendies criminels de forêts qui ravagent le Brésil. Cette année, 11 millions d’hectares sont déjà partis en fumée, près de dix fois la superficie de l’Île-de-France. L’artiste s’interroge sur notre rapport au monde, à la nature et aux arbres en général. Pour lui, le chaos environnemental dans lequel nous nous trouvons ne provient pas de l’utilisation des ressources naturelles mais plutôt de l’anthropocentrisme qui guide l’ensemble des actions humaines. Soit l’idée selon laquelle la planète existe uniquement pour répondre à nos besoins. Notre survie dépend de la compréhension du contraire : nous sommes une espèce parmi d’autres espèces, toutes interdépendantes et nécessaires.
Cette œuvre répond parfaitement à la philosophie de régénération de la nature développée par Usina de Arte depuis sa création en 2015. Anciennement le plus grand site de production d’alcool et de sucre du Brésil sur 40 hectares, Usina Santa Terezinha a dû mettre fin à ses activités en 1998 après avoir été frappée par une grave crise mondiale de dépréciation du prix du sucre. Repris avec brio par les descendants de la famille, Bruna et Ricardo Pessoa de Queiroz, l’usine a été transformée en parc artistique et botanique. Grâce à la conviction que l’art peut constituer un pivot de développement pour les 6 000 personnes de la population locale, le couple de philanthropes favorise ainsi un nouveau cycle de développement environnemental, économique et culturel pour la région nord-est du Pernambuco, située à environ 100 kilomètres de Recife. Rien que cette année, grâce à Marc Pottier qui accompagne depuis dix ans le développement artistique du lieu, six installations ont pris place – dont la première œuvre publique au Brésil de l’artiste serbe Marina Abramović, Generator.
Le parc artistique et botanique, qui compte environ 10 000 espèces distinctes, n’est pas seulement un jardin de sculptures, mais aussi un espace d’expériences et d’interactions qui inclut un festival annuel de musique et un programme éducatif pour les élèves des écoles locales. Le projet inclut un reboisement des environs, une récupération naturelle déjà ressentie au niveau de l’habitat des animaux sauvages de la région, dans un mouvement d’inversion de l’usure de la terre de monoculture de canne à sucre. Un plan de circulation fluide de visite conçu par l’architecte japonais Tsuyoshi Tane est en cours, avec l’ajout d’hôtels, de chambres d’hôtes et de restaurants afin de recevoir les 3 000 visiteurs annuels.
En 2025, deux projets d’envergure sont prévus : l’installation Jardin fragile de l’artiste cubain Carlos Garaicoa composée de verre de Murano et exposée dans la serre d’orchidées. L’artiste brésilien vivant à Paris Julio Villani a été invité, lui, à occuper l’un des bâtiments industriels de l’ancienne usine, dans lequel était anciennement ensaché le sucre. Il créera un musée de la mémoire et proposera une installation en cinq temps en rapport avec l’histoire du lieu : une exposition des meubles et outils faits par les anciens ouvriers à partir de ce qu’ils avaient sous la main ; une exposition de sculptures réalisées avec de la ferraille trouvée sur place ; une installation de draps brodés avec lesquels il formera trois grands sacs autour de l’« histoire amère du sucre », là où se trouvaient trois des anciens entonnoirs d’ensachage de sucre. Il proposera encore une installation chargée à l’image des ex-voto sur les murs des églises, des témoignages enregistrés, écrits ou dessinés par les gens eux-mêmes, avec des objets trouvés sur place ; enfin, dans une annexe du bâtiment, sur des meubles trouvés seront déposés quelques collages faits à partir de feuilles, bouts de bois et autres petits riens de la terre. Le tout formera la base d’une collection appelée à être agrandie, développée lors d’ateliers pédagogiques destinés aux enfants des écoles de la région, qui y ajouteront à leur tour leurs petites pierres à l’édifice.