Près de 800 artistes exposés, plus de 50 institutions fédérées, toute la Californie du Sud mobilisée – de Santa Barbara à Palm Springs et San Diego, du Grifith Observatory, à Los Angeles, au Museum of Latin American Art, à Long Beach, et au California Institute of Technology, à Pasadena. Il faut posséder soit l’œil bionique, soit des talentsdemédium pour visiter toutes les expositions de PST ART : « Art & Science Collide » et découvrir l’ensemble des créations visuelles, performatives, archivistiques, technologiques, filmiques et contre-culturelles générées par cette collision entre l’art et la science.
Orchestrée et richement dotée depuis 2008 par la Getty Foundation, PST ART (auparavant Pacific Standard Time) est une des initiatives les plus ambitieuses du calendrier international de l’art. Sa première édition, en 2011-2012, a mis en valeur l’art californien créé entre 1945 et 1980, le situant définitivement dans l’histoire de l’art d’après-guerre. Sa deuxième édition, en 2017-2018, s’intéressait à l’art latino et latino-américain, en révélant toute une scène et des problématiques jusqu’alors peu considérées. S’appuyant sur le passé illustre de la Californie en matière d’innovations technologiques, de recherches scientifiques et d’observation de l’espace, sa troisième édition ambitionne de dresser un panorama, conjugué au passé, au présent et aux futurs, des relations entre art(s) et science(s).
MOMENTS FONDATEURS…
Pour chaque édition, le principe est le même. La Getty Foundation et ses satellites, le J.Paul Getty Museum, le Getty Research Institute et le Getty Conservation Institute, tous basés à Los Angeles, soutiennent des programmes d’études, aident à l’organisation d’expositions, promeuvent la publication d’ouvrages sur des sujets inédits. Le montant total des subventions avoisine les 20 millions de dollars (19 millions d’euros). De quoi favoriser la création et faire vivre tout un réseau de lieux d’art, de travailleurs culturels, d’initiatives publiques et privées déployées sur plusieurs années, entre les appels à projets et leurs concrétisations.
Le thème de cette édition, plus attendu et moins spécifiquement californien que ses précédentes, brasse large, alternant problématiques incontournables (le changement climatique, l’art au défi de l’intelligence artificielle), thématiques essentielles des débats contemporains (l’écoféminisme, les rapports médecine/handicap, les futurologies) et mises au jour bienvenues de généalogies et d’archives oubliées. De fait, quelques noms consacrés comme Olafur Eliasson (The Museum of Contemporary Art, Los Angeles), Mark Dion (La Brea Tar Pits, Los Angeles) et Cai Guo-Qiang (USC Pacific Asia Museum, Pasadena) côtoient des expositions thématiques et des présentations historiques dédiées, par exemple, à l’histoire des dioramas (Natural History Museum of Los Angeles County), à la « Scientia Sexualis » (Institute of Contemporary Art, à Los Angeles), aux explorations chromatiques au cinéma (Academy Museum of Motion Pictures, Los Angeles) ou encore à l’art de l’indigo (Mingei International Museum, San Diego).
Parmi les propositions marquantes, cinq d’entre elles reflètent la diversité de la manifestation. Au titre des monographies, il y a d’abord la découverte de la figure de George Washington Carver (vers 1864 - 1943) au California African American Museum, à Los Angeles. Conçue comme un portrait vivant de l’ingénieur, agronome, mycologue et activiste américain, né esclave et devenu l’un des Africains-Américains les plus célébrés du XXe siècle, l’exposition témoigne de la richesse scientifique et artistique du legs de sa pensée - laboratoire dans de nombreux domaines de la création. Surnommé le « Black Leonardo » ou « Mr. Peanut » pour ses recherches sur l’arachide, il a tout pour devenir une source d’inspiration pour les nouvelles générations, ici représentées par Hana Ward, Kevin Beasley et Abigail DeVille.
Dans le registre contemporain, au Vincent Price Art Museum, situé dans l’East Los Angeles College, à Monterey Park, la Colombienne Carolina Caycedo, artiste pluridisciplinaire majeure de la pensée éco-féministe, offre une vision complète des processus collaboratifs qu’elle met en place pour mener à bien des projets précisément ancrés dans les contextes qu’elle explore et les luttes qu’elle accompagne. Emblématique de sa volonté de « visualiser les écologies » de manière décentrée, sa vidéo Reciprocal Sacrifice (2022) met en scène le monologue d’un saumon tentant de remonter, malgré les obstacles humains, dans son bassin de naissance.
… ET ENJEUX ACTUELS
Attaché à inscrire la réflexion contemporaine dans les généalogies passées, PST ART propose deux expositions collectives, très différentes, sur les liens entre science et créativité. Au Getty Center, à Los Angeles, « Sensing the Future : Experiments in Art and Technology (E.A.T.) » revient sur deux moments mythiques de collaboration entre artistes et ingénieurs : « 9 Evenings : Theatre and Engineering », manifestation inaugurale du programme E.A.T. conçue en 1966 par Billy Klüver, Robert Rauschenberg, Fred Waldhauer et Robert Whitman ; le Pepsi-Cola Pavilion présenté en 1970 à l’Exposition universelle d’Osaka avec les contributions de Robert Breer et Fujiko Nakaya. Tout ce qui a été élaboré – formellement comme conceptuellement – à ces deux occasions demeure largement indépassable, quelles que soient les avancées technologiques actuelles.
Dans un autre genre, « Sci-Fi, Magick, Queer LA : Sexual Science and the Imagi-Nation », l’un des projets les plus remarqués par la presse états-unienne, élucide les liens entre l’histoire LGBTQ, la science-fiction et l’occulte dans le Los Angeles marginal des années1930 à 1960. Culminant avec le court métrage Inauguration of the Pleasure Dome (1954-1966), chef-d’œuvre de Kenneth Anger, l’exposition révèle les figures irréductibles de Lisa Ben, alias Tigrina, Marjorie Cameron ou encore Jim Kepner, et la manière dont ils et elles ont infusé les imaginaires de la côte ouest grâce à leurs œuvres et aux revues spécialisées homosexuelles, occultes et/ou de science-fiction qu’ils animaient.
Enfin, l’exposition la plus riche du programme, la plus pertinente aussi au regard des questionnements actuels sur le validisme et les rapports patients, corps médical et institutions de soin, est sans nul doute « For Dear Life : Art, Medicine, and Disability » au Museum of Contemporary Art San Diego. S’ouvrant par la vidéo Hand Movie (1966) d’Yvonne Rainer qui, momentanément incapable de sortir de son lit d’hôpital, continue de danser par l’intermédiaire de sa seule main, l’exposition réunit un nombre impressionnant d’œuvres, exclusivement américaines, souvent émouvantes, parfois dérangeantes. Elle convoque des figures pionnières comme Tee A. Corinne, Lynn Hershman Leeson et Juanita McNeely, la génération affectée par l’épidémie du VIH (Ray Navarro, Martin Wong), l’avènement des esthétiques crip*1 dans les années 1980-1990 (Joseph Grigely, Stephen Lapthisophon) et les pratiques situées de Park McArthur, Christine Sun Kim et du mouvement Disability Justice des années 2000-2020, confirmant que les lieux d’intersection les plus vifs entre l’art et la science sont bien évidemment les corps humains.
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PST ART : « Art & Science Collide », 15 septembre 2024 - 16 février 2025, divers lieux, Californie du Sud, États-Unis.
*1 Terme dérivé de cripple (qui signifie « estropié », « infirme »), utilisé pour retourner le stigmate du handicap et nommer les théories et pratiques à l’intersection entre les études sur le handicap, les questions queer et l’analyse
des effets normatifs du validisme.