Pour Bernard Ceysson, qui assure le commissariat de cette exposition avec Arlette Klein, il y a – de façon sous-jacente, mais visuellement manifeste – une volonté de confronter l’œuvre de Jean Messagier à la peinture américaine qui lui est contemporaine. La critique d’art américaine Annette Michelson (qui a vécu une quinzaine d’années à Paris et fut cofondatrice de la revue October avec Rosalind Krauss) ne s’y était pas trompée en qualifiant ses compositions de « telluriques », possédant une réelle dimension sacrée.
Avec des influences allant de Fra Angelico, Piero della Francesca et Giotto d’une part, à Matisse de l’autre, « comment a-t-il fait pour éviter de refaire l’histoire de la peinture française ? », se demande Bernard Ceysson. « Il s’agit là d’une forte personnalité dont on n’a pas vraiment pris conscience en France », affirme l’ancien directeur des musées de Saint-Étienne et du musée national d’Art moderne. Tel est l’un des objectifs de cette exposition d’envergure muséale : reconsidérer l’œuvre de Jean Messagier à sa juste valeur et la remettre à la place qui lui revient, dans ce champ mouvant entre picturalités française et américaine. Pour ce faire, le parti pris de la manifestation est double. Cette dernière se présente en effet sous la forme d’un parcours rétrospectif inversé, remontant le temps en débutant par les grands formats ultimes pour se terminer par les œuvres de jeunesse de la fin des années 1940, sans oublier la série des « Gels » des années 1970 et quelques bronzes à la cire perdue qui auront jalonné toute sa carrière. Avec plus d’une centaine de tableaux, la deuxième option prise est celle d’une immersion linéaire dans la densité de son travail, tel que Messagier le pratiquait de son vivant, notamment lors de son exposition rétrospective (mais incomprise) aux Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, en 1981.
Proche de la nature, des saisons et même des mois avec une prédilection pour ceux du printemps et de l’été, son œuvre « abstraite » pourrait être définie comme un paysage mouvant dont le corpus se décline en arabesques, tourbillons, torsades, écheveaux et autres turbulences témoignant tant de l’effervescence du geste et de l’estompement de la forme que de la maîtrise de la composition. Cela peut sembler paradoxal pour quelqu’un qui écrivait « être obsédé par la diagonale, et savoir pourquoi maintenant, c’est mon obsession de l’infini ». Avec sa manière de saturer totalement la surface de ses toiles, celles-ci donnent l’impression d’être habitées par un vortex qui ferait fi de leurs limites, comme si chaque tableau ne constituait que le fragment d’un ensemble plus important, comme la pointe d’un iceberg aux dimensions insoupçonnées. C’est le sentiment qui se dégage du parcours de cette exposition, celui de la traversée d’une œuvre qui s’impose par sa constance et sa puissance, en une perpétuelle mouvance vivante.
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« L’œuvre Messagier. Une mimesis abstraite du monde : les commencements et les achèvements », jusqu’au 2 février 2025, Fondation Fernet-Branca, 2 rue du Ballon, 68300 Saint-Louis
Riche publication avec des textes d’Olivier Kaeppelin et Bernard Ceysson, Éditions Fondation Fernet-Branca, 2024, 144 p., 25 euros