Considéré comme un maître du cinéma indépendant américain pour ses thrillers psychologiques aux atmosphères énigmatiques et inquiétantes, David Lynch est décédé à Los Angeles le 16 janvier 2025, a annoncé sa famille : « C’est avec un profond regret que nous vous annonçons le décès de l’homme et de l’artiste David Lynch. Il y a un grand trou dans le monde maintenant qu’il n’est plus parmi nous. Mais, comme il le dirait, "Gardez un œil sur le donut et non sur le trou." » Grand fumeur, souffrant d’un emphysème qui s’est aggravé, il avait été forcé d’évacuer son domicile de Laurel Canyon, dans les hauteurs de Mulholland Drive, en raison des incendies qui ravagent la Cité des anges depuis plusieurs jours.
Son legs est inscrit au panthéon du 7e art : dix longs-métrages entre 1977 et 2006, d’Eraserhead à Inland Empire, et la série Twin Peaks, créée en 1990 pour la télévision, pionnière du genre, bien avant l’avènement des plateformes (il signera une suite et fin, Twin Peaks. The Return, en 2017). Couronné de la Palme d’or au Festival de Cannes, en 1990, pour Sailor et Lula (Wild at Heart), Prix de la mise en scène à Cannes et César du meilleur film étranger pour Mulholland Drive en 2001, le cinéaste a obtenu en 2006 un Lion d’or d’honneur à la Mostra de Venise pour l’ensemble de sa carrière, avant un Oscar d’honneur en 2020. En 2022, il a fait une apparition remarquée dans le rôle du réalisateur John Ford dans le film The Fabelmans de Steven Spielberg.
Passionné par la pratique de la méditation transcendantale, il menait en parallèle d’autres activités. Musicien, il a sorti plusieurs albums, et s’adonnait à la peinture, à la photographie, au design… En 2016, le film documentaire David Lynch : The Art Life levait le voile sur le processus créatif de cet artiste aux multiples talents dans l’intimité de son atelier de Los Angeles. Un lieu de création totale, associant ses œuvres plastiques et musicales.
Son univers cinématographique singulier trouvait un écho dans d'autres formes d’expression où il déployait une vision tout aussi unique en son genre – une étrangeté sombre, hallucinée, surréaliste sous les dehors tranquilles de la réalité, le macabre sous l’ordinaire – qui a engendré son propre qualificatif : « lynchien ». « Le beau est toujours bizarre », écrit Baudelaire. « Il est tellement droit [straight] qu’il est difficile d’imaginer qu’il a un esprit aussi tordu », a déclaré après le tournage de Blue Velvet Dennis Hopper, évoquant le cinéaste affable à la voix posée, toujours élégant et soigneusement décoiffé, vêtu d'une indéfectible chemise Agnes b. au col boutonné.
Né dans le Montana en 1946, David Lynch a étudié l’art à la Corcoran School of the Arts and Design de Washington, à la School of the Museum of Fine Arts at Tufts de Boston, puis à la Pennsylvania Academy of the Fine Arts (PAFA) à Philadelphie, où il rencontre sa première épouse, une camarade d’études. Après un voyage écourté en Europe dans le but d’étudier auprès d’Oskar Kokoschka à Salzbourg, Lynch travaille dans l’impression de gravures pour subvenir aux besoins de la famille. C’est en cherchant à donner du mouvement à ses peintures qu’il réalise son premier court-métrage en 1967, Six Figures Getting Sick, qui lui vaut le premier prix à l’exposition annuelle de fin d’année de l’Académie.
Le cinéaste dont la première vocation avait été la peinture fréquentait l’atelier Idem dans le quartier de Montparnasse, à Paris, où Picasso, Miró et Matisse venaient imprimer leurs lithographies. Un « lieu unique » dont il appréciait « l’odeur de l’encre, qui vous embarque dans un rêve » et où on pouvait le croiser, en train de travailler sur ses propres créations. « Le procédé de la lithographie est proche de celui de la photographie. On prend un cliché mais ce qui apparaît est toujours une surprise. C’est un procédé très organique, de révélation sur la pierre », confiait-il.
Ses photographies d’usines et de femmes à Łódź, en Pologne, où il a créé un studio de cinéma, ont été exposées dans le Marais, à la Galerie Port Autonome, en 2004. En mars 2007, l'exposition « The Air Is on Fire » regroupait photographies, œuvres plastiques et sonores du réalisateur à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Le soir du vernissage, David Lynch y a donné un court concert, ses écrits lus entre les morceaux. De nombreuses institutions internationales lui ont consacré des rétrospectives, à l'exemple, en 2014, de l'Académie des beaux-arts de Pennsylvanie, où l'artiste a étudié la peinture.
David Lynch nourrissait, en outre, un intérêt pour l’architecture. Il a habité une maison conçue par Frank Lloyd Wright et en a fait dessiner deux autres sur les collines de Hollywood. À Paris, il a apporté sa touche originale au Club Silencio, haut lieu des nuits arty.
« Tous ceux qui ont eu la chance de grandir pendant les années de prédilection de Lynch – les années 80 et 90 – ont vu l'architecture de leur cerveau considérablement reconstruite par son génie. Quelle perte incroyable que celle d'un créateur pur. Lynch a transformé la folie en philosophie », lui rend hommage Marc Glimcher, à la tête de la galerie Pace, qui l'a exposé.
Jean-Charles Vergne, ancien directeur du FRAC Auvergne, où il a organisé en 2012 une exposition réunissant son œuvre gravée, ses dessins, ses courts-métrages, films d’animation, la minie-série Rabbits et la reconstitution de la fameuse Black Lodge de Twin Peaks pour laquelle David Lynch avait créé un son d’ambiance, salue la mémoire d’« un homme d’une infinie gentillesse et d’une délicatesse rare ».