Pour la deuxième année consécutive, l’artiste médiatique Refik Anadol, basé à Los Angeles, présentera ce soir, lors du concert d’ouverture de la réunion annuelle du Forum économique mondial (WEF) à Davos, une installation pour une salle entière, alimentée par une intelligence artificielle, traitant du réchauffement de la planète et de la crise environnementale.
En 2024, il avait abordé les forêts tropicales, leur flore et leur faune ; en 2025, l’accent sera mis sur le sort des glaciers à travers le monde à l’heure du changement climatique, et plus particulièrement ceux de l’Antarctique, conformément à la déclaration de l’Assemblée générale des Nations unies qui a fait de 2025 l’Année internationale de la préservation des glaciers. Dans les deux cas, le studio de Refik Anadol a conçu des expériences immersives en travaillant avec de gigantesques données issues de sources éthiques, présentées dans des modèles d’intelligence artificielle (IA) alimentés par de l’énergie renouvelable, produisant une œuvre conçue pour inciter à agir.
L’œuvre du concert d’ouverture de cette année, a expliqué Refik Anadol à The Art Newspaper, reflétera « la beauté des glaciers et la vie qu’ils abritent, leurs faunes et bien plus encore ». Tandis que le Morphing Chamber Orchestra et les solistes vocaux se produiront, les images de l’artiste – qui utilisent son Large Nature Model pour exploiter une vaste base de données d’images de glaciers, dont plus de 10 millions ont été collectées par lui-même et son studio – s’afficheront sur les murs de la salle plénière du centre de congrès de Davos.
Refik Anadol et son équipe ont rassemblé ces images lors de visites en Islande, en Antarctique et ailleurs. « Nous avons enquêté, voyagé et transformé ces magnifiques grottes de glace, ces magnifiques formations naturelles, et nous les avons capturées sous différents éclairages, à différentes saisons et dans différentes conditions. » Les glaciers sont la source d’eau douce de l’humanité, avance-t-il, « et leur fonte rapide, qui modifie leur formation et leurs fonctions, est un problème crucial. »
Dès leur première collaboration, Joseph Fowler, responsable des arts et de la culture pour le Forum économique mondial, a confié à Refik Anadol qu’il était intrigué par le mélange d’IA, d’éthique et de nature dans son travail, et par la façon dont il « peut apporter une contribution, un dialogue, une action transformatrice, et pas seulement un discours ». « J’ai été très impressionné, car je ne me contente pas de parler, témoigne l’artiste en retour. Nous faisons un travail esthétiquement expérimental, mais en coulisses, nous essayons toujours d’émouvoir les gens, de faire vibrer notre humanité, de rendre sensible ce en quoi nous croyons pour faire bouger les choses. »
Après avoir découvert sa pratique artistique en 2021, Joseph Fowler a recontacté l’artiste en 2022 et lui a commandé la première des deux œuvres de grand format conçues in situ. Artificial Realities : Coral a été présentée pour la première fois à Davos en 2023 et Living Archive : Nature dévoilée lors de la réunion annuelle de 2024. L’année dernière, Anadol a également présenté pour la première fois son Large Nature Model et a créé une œuvre immersive – une extension de Living Archive : Nature – qui a accompagné le concert d’ouverture.
Selon Refik Anadol, Joseph Fowler a été « très ému » par son installation à Art Basel Miami Beach en 2021. « Il a apprécié l’expérience et déclaré qu’elle l’avait transformé », ajoute-t-il. Pour le programme artistique et culturel de 2023, qui mettait l’accent sur les écosystèmes coralliens fragiles du nord de la mer Rouge et soulignait l’impact de la hausse des températures de la mer, l’artiste a repris le concept de Miami, mais en créant Artificial Realities : Coral qui « a poussé une recherche plus avancée en matière d’IA et a transformé des archives de plus de 100 millions d’images en une sculpture de données de près de 100 m² à l’entrée de la réunion du Forum économique mondial. »
C’était la première fois que Refik Anadol était témoin de l’effet produit par la réunion de plus de 1 000 dirigeants mondiaux dans une même salle. « Il est étonnant que nous ayons réuni ces personnes dans un moment de célébration », de concentration, de dialogue et d’attention. L’œuvre, poursuit-il « a suscité une attention incroyable » et a contribué à inciter les Nations unies et d’autres organismes à se pencher sur les solutions à apporter aux coraux en voie de disparition. « Ainsi, d’une belle œuvre d’art, elle s’est transformée en une œuvre militante et transformatrice. » Grâce à cette présentation, il a rencontré des dirigeants mondiaux, des décideurs politiques et des experts scientifiques.
Pour le concert d’ouverture de janvier 2024, Joseph Fowler lui a commandé Living Archive : Nature, deux œuvres relatives à la forêt tropicale brésilienne et au désert du Sahara, que Rafik Anadol a tirées de son Large Nature Model (LNM), un système d’IA élaboré en collaboration avec certaines des plus grandes archives publiques de données d’histoire naturelle. Parmi les institutions participantes auprès desquelles il s’est procuré des données figurent la Smithsonian Institution à Washington, détentrice de 148 millions d’objets, de 9 millions d’enregistrements de spécimens publics et de 6,3 millions d’images publiques ; le Natural History Museum de Londres, qui possède 80 millions de spécimens et quatre millions d’images publiques ; le Cornell Lab of Ornithology de l’État de New York, qui détient 54 millions d’images, deux millions d’enregistrements sonores et 255 000 vidéos ; iNaturalist, une base de données qui contient 181 millions d’images ; la plateforme d’agrégation de données Encyclopedia of Life ; et les collections d’herbiers et de jardins botaniques de Paris, de New York, de l’université de Harvard et de Rio de Janeiro, entre autres.
Dans le cadre de ce projet, Refik Anadol a été nommé responsable culturel aux côtés de son mentor, le chef Nixiwaka Yawanawá du peuple Yawanawá au Brésil, avec lequel il travaillait depuis plusieurs années. L’artiste et sa femme et cofondatrice du studio, Efsun Erkılıç, ont passé du temps avec les Yawanawá dans la forêt tropicale près de la frontière péruvienne, dans le cadre d’une collaboration qui a profondément influencé leur travail sur les modèles d’intelligence artificielle de la forêt tropicale.
Living Archive : Nature à Davos a marqué le début d’une tournée mondiale d’expositions dérivées du LNM de Rafik Anadol, à commencer par « Echoes of the Earth : Living Archive », à la Serpentine North, à Londres, la première exposition personnelle de l’artiste dans cette ville. Au cours des mois suivants, Rafik Anadol a présenté son LNM sous diverses formes à la Nvidia GTC, la conférence sur l’IA du fabricant de puces à San José, et à l’événement de recherche sur l’IA Google IO à Mountain View (tous deux en Californie), puis en septembre dernier au sommet des dirigeants au siège des Nations unies à New York et sous la forme de huit œuvres thématiques à Futura Seoul, en Corée du Sud. Pour les projets environnementaux de l’ONU et du Forum économique mondial, Rafik Anadol produit désormais des œuvres par l’intermédiaire de la RAS AI Foundation, une organisation à but non lucratif créée par son studio.
Aujourd’hui, le Large Nature Model (LNM), inauguré à Davos en 2024, revient à ses origines en prenant part au concert d’ouverture de cette année, placé sous le thème « Gardiens des Glaciers ». « Lorsque Joseph m’a invité, raconte l’artiste, j’ai répondu par l’affirmative ; faisons en sorte que ce soit encore mieux. »