On n’en a pas fini de découvrir la production de l’artiste suédoise née en 1862 et aujourd’hui considérée comme une, si ce n’est la pionnière de l’abstraction. Son exposition au Solomon R. Guggenheim Museum à New York « Hilma af Klint : Paintings for the Future » en 2018-2019 avait rencontré un énorme succès public, battant un record d’affluence avec environ 600 000 visiteurs. Une nouvelle version de cette présentation monographique est actuellement présentée au Guggenheim Bilbao, accompagnée d’un nouveau catalogue en langue espagnole, qui fait le point sur l’avancée des recherches sur la peintre. Cette dernière avait demandé que son œuvre ne soit pas exposée pendant vingt ans après sa mort, en 1944, considérant que le public n’était pas prêt à l’appréhender. L’éclipse sera bien plus longue, puisqu’il faudra attendre 1986 pour que ses compositions réapparaissent, d’abord dans une exposition de groupe, « The Spiritual in Art : Abstract Painting 1890-1985 », au Los Angeles County Museum of Art. Sa première exposition personnelle fut organisée en 1988, au Nordiskt Konstcentrum, à Helsinki, en Finlande. En France, elle fut montrée au public pour la première fois en 2008 au Centre Pompidou dans « Traces du Sacré », sous le commissariat de Jean de Loisy et le co-commissariat d’Angela Lampe. Mais elle n’accéda à la reconnaissance qu’avec sa grande exposition au Moderna Museet à Stockholm en 2013.
Le parcours se déploie à Bilbao dans huit salles du musée et présente un très vaste ensemble d’œuvres de l’artiste. Cette dernière naît dans une famille qui s’est illustrée dans la marine suédoise et de spécialiste des cartes nautiques. Son père Fredrik Viktor est lui-même commandant de la marine et directeur de l’académie, lieu où il enseigne l’astronomie, les sciences nautiques, les mathématiques et la navigation à voile. Hilma af Klint étudie à l’Académie royale suédoise des Beaux-Arts, qui s’est ouverte aux jeunes filles. Après avoir obtenu son diplôme avec mention en 1887, elle peint des paysages traditionnels comme Paysage estival (Sommarlandskap) (1888), première œuvre de l’exposition. Très vite, elle est intéressée par la dimension spirituelle du monde, et elle participe à des séances de spiritisme alors en vogue. Elle crée le groupe des Cinq en 1896 avec quatre autres femmes (Anna Cassel, Cornelia Cederberg, Sigrid Hedman, Mathilda Nilsson) qui se réunit pour communiquer avec les esprits. Hilma af Klint s’adonne alors au dessin automatique qui donne naissance à des compositions abstraites faites par exemple de disques, dès les années 1903-1908. L’exposition réunit un ensemble de ces œuvres sur papier, parfois accompagnées de textes. Attirée par la théosophie, elle adhère à la Société Anthroposophique en 1904. Lors d’une séance du groupe des Cinq, en janvier 1906, Amaliel, l’un des guides spirituels, lui demande « de capturer le monde spirituel dans ses peintures ». Elle réalise alors la série des Peintures pour le temple, dont cent dix sont exposées à Bilbao. Plus loin sont accrochées les Grandes peintures de figures qui intègrent en 1907 des corps de femmes et d’hommes. « Les tableaux ont été peints directement à travers moi, sans croquis préalables et avec une grande force. Je n’avais aucune idée de ce que représentaient les images ; j’ai travaillé rapidement et avec des gestes sûrs, sans changer un seul coup de pinceau », dira Hilma af Klint. Son œuvre abstraite se poursuit en intégrant des motifs symboliques, comme l’étoile à sept branches. Selon les recherches récentes, Rudolf Steiner, fondateur de l’Anthroposophie et créateur du Goetheanum, à Dornach, en Suisse, vient visiter son atelier en 1910. Il est l’un des rares à pouvoir contempler ses œuvres qu’elle décide de ne montrer qu’à un cercle restreint de personnes.
Très puissante, sa peinture conserve une incroyable fraîcheur, certaines de ses compositions pouvant même faire penser à des œuvres d’artistes contemporains. Elle réalise en 1916 une série de carrés monochromes à l’aquarelle, en 1920 des compositions géométriques qui rappellent formellement certaines pièces de Paul Klee, et produit en 1931 une série que l’on pourrait qualifier d’abstractions atmosphériques.
Cette exposition montre à travers un très vaste ensemble d’œuvres toute la singularité de cette artiste pionnière, dont il reste encore beaucoup à découvrir du parcours et de l’engagement. Pour ceux qui ne peuvent se rendre en Espagne, le Guggenheim Bilbao propose sur son site Internet une visite virtuelle du parcours.
Depuis 1972, l’œuvre de l’artiste est défendue par la Hilma af Klint Foundation, qui prête la plupart des œuvres de l’exposition. L’artiste sera à l’honneur dans d’autres musées en 2005, au musée national d’Art moderne de Tokyo (4 mars-15 juin) et au MoMA à New York (11 mai- 27 septembre). Le marché de ses œuvres est relativement embryonnaire. En 2021-2022, David Zwirner a présenté dans ses galeries de New York et Londres une série de dessins de l’artiste, acquis par le Glenstone Museum (Maryland). Cependant, un projet d’accord plus ambitieux entre la galerie et la Hilma af Klint Foundation a été bloqué en fin d’année 2024 par le refus d’Erik af Klint, arrière-petit-neveu de l’artiste.
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« Hilma af Klint », jusqu’au 2 février 2025, Guggenheim Bilbao, Avenida Abandoibarra, 2, 48009 Bilbao