S’il rencontre une reconnaissance tardive hors de la Suisse, Hans Josephsohn a été admiré et défendu par de nombreux artistes. En 2007, le sculpteur Ugo Rondinone lui a consacré une salle entière dans l’exposition « The Third Mind », sa carte blanche au Palais de Tokyo, à Paris. C’est la première fois que ses sculptures sont exposées en France. Hans Josephsohn a alors 87 ans. Le public découvre des nus couchés frôlant l’abstraction, des formes organiques et minérales où la narration se soumet au travail de la matière, offrant une expérience quasi haptique.
Le sculpteur suisse, né en 1920 à Königsberg (ancienne capitale de la Prusse- Orientale, actuelle Kaliningrad), met très tôt la figure humaine à distance, sans pour autant la nier complètement. Jusqu’à sa mort en 2012, il travaillera à la lisière de la figuration et de l’abstraction, conciliant les deux à travers son amour du geste et de la matière. Invité par le musée d’Art moderne de Paris (MAM) à penser le commissariat artistique de l’exposition, Albert Oehlen explore précisément cet aspect de l’œuvre du sculpteur, dans un parcours suivant ses trois grandes périodes artistiques. Figure majeure de la peinture allemande, dont il contribue au renouvellement dans les années 1980, l’artiste né en 1954 trouve dans l’approche de Hans Josephsohn des échos avec sa propre démarche.
Une simplification extrême des formes
Au sein du blanc espace d’exposition baigné d’une lumière zénithale, l’œuvre de Hans Josephsohn accroche le regard. Ces formes, aussi épurées que leur surface est travaillée, ont quelque chose de magnétique, exprimant la puissance autant qu’une profonde gravité. Une intensité que Jessica Castex, commissaire d’exposition au MAM, relie à la biographie de l’artiste. Né en Prusse-Orientale, il a vécu comme un traumatisme la montée du nazisme. À 18 ans, ses origines juives l’empêchent d’entrer à l’école d’art de Berlin. Il obtient une bourse au printemps 1938 pour étudier à Florence, qu’il doit quitter précipitamment quelques mois plus tard, après la promulgation des lois raciales de Benito Mussolini. Exilé en Suisse, il s’installe à Zurich où le sculpteur Otto Müller (1905-1993) le prend sous son aile et le confirme dans sa vocation. Rendu orphelin par l’Holocauste, Hans Josephsohn fait de la sculpture sa famille : « La sculpture est devenue mon pays d’origine. Les sculpteurs de toute l’histoire étaient mes vrais parents. » (Gerhard Mack dans Hans Josephsohn, Zurich, Scheidegger & Spiess, 2005).
En 1943, il s’installe dans son premier atelier. Ce lieu de création, de travail acharné, mais aussi de rencontres devient son point d’ancrage qu’il ne quitte que rarement. Dans son portrait filmé par Jürg Hassler (Jürg Hassler, Josephsohn, Stein des Anstosses, 1977, film documentaire), le sculpteur affirme que sa première œuvre était une « simple figure assise », motif qui, comme d’autres, deviendra une obsession. L’exposition s’ouvre sur l’une de ces figures, introduisant sa première période, caractérisée par une simplification extrême des formes. Tout près, la silhouette de son épouse Mirjam Abeles cristallise les intentions de l’artiste : plus qu’un portrait de son modèle, il cherche à restituer son essence, son aura. Dans ces longues silhouettes hiératiques qu’il répète sans relâche, on lit l’influence de l’art ancien, la sculpture assyrienne et égyptienne.
Au début des années 1950, la guerre de Corée le replonge dans ses traumatismes. Il continue de repousser le réel, épurant, synthétisant, et s’exprime aussi par le relief, lequel offre plus de liberté et lui permet de déployer un registre narratif. Il y reprend systématiquement la même formule : deux ou trois personnages qu’il insère dans une architecture sommaire, un espace qui, selon Jessica Castex, permet de « faire vivre la relation entre le sculpteur, le modèle et l’œuvre ».
La matérialité la plus pure
Si les formes sont simplifiées, le travail de la matière est d’une grande richesse, le plâtre notamment, qu’il affectionne pour sa malléabilité. Hans Josephsohn le retravaille sur un temps long, parfois pendant plusieurs années, procédant par retrait et ajout de matière. L’exposition en présente un certain nombre, aux côtés d’œuvres coulées le plus souvent en laiton. Ces moulages ont été réalisés sous l’œil de l’artiste à la fonderie d’art de Felix Lehner à Saint- Gall (Suisse), laquelle, depuis 2003, est également un lieu de conservation et de présentation de l’œuvre de Hans Josephsohn (le Kesselhaus Josephsohn, principal prêteur de l’exposition). Sur le laiton, on observe cette même attention accordée au rendu des surfaces, la magie des patines qui, parfois, donnent l’impression d’observer du bois brûlé.

Vue de l’exposition « Josephsohn vu par Albert Oehlen », musée d’Art moderne de Paris.
Courtesy de Paris Musées/musée d’Art moderne de Paris. Photo Pierre Antoine
Dans les années 1960, un changement s’opère. Les œuvres sont plus incarnées et reviennent à une certaine massivité des formes. Les silhouettes féminines gagnent en expressivité. Il aime les inscrire dans des linteaux, rappelant son intérêt pour la période médiévale, et notamment l’art roman dont les scènes très vivantes indiquent l’élan vital qui s’empare de sa propre pratique. De nouveaux motifs s’ajoutent à un répertoire de figures nourrissant son imaginaire et dont il produira maintes variantes : l’homme au pantalon, dont la texture du tissu le fascine, ou encore la figure couchée, incarnée par sa nouvelle compagne, Ruth Jacob.
La rupture avec cette dernière va l’enfermer dans une crise personnelle et artistique dont il émerge dans les années 1980 pour véritablement trouver son langage. Travaillant les bustes et la demi-figure, il s’aventure plus loin dans l’abstraction et la matérialité de l’œuvre sur laquelle les touches généreuses de plâtre laissent deviner un geste instinctif. Ce vocabulaire trouve son paroxysme dans un ensemble de demi-figures totémiques du début des années 2000, un agglomérat de matière organique laissant parfois deviner une trace d’humanité. La matérialité dans sa forme la plus pure.
Hans Josephsohn s’est toujours tenu à distance des artistes de son temps. Cette solitude peut expliquer son anonymat à l’international. Une sculpture de Rebecca Warren ainsi que les témoignages des artistes Thomas Houseago, Simone Fattal, Ugo Rondinone et Rachel Harrison filmés par Cornelius Tittel, instigateur de cette exposition, montrent à quel point son travail entre en résonance avec la création contemporaine. À l’heure où la sculpture revient au geste et au matériau, l’œuvre de Hans Josephsohn s’inscrit plus que jamais dans l’histoire de l’art.
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« Josephsohn vu par Albert Oehlen », 11 octobre 2024-16 février 2025, musée d’Art moderne de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, mam.paris.fr