Formé à la biologie et spécialiste des libellules, Jochen Lempert a 30 ans quand il se tourne vers la photographie, à la fin des années 1980. Depuis lors, il développe une œuvre singulière et éminemment poétique, croisant précision scientifique et sensibilité artistique. Muni de son appareil, le Hambourgeois mène une observation quotidienne de la nature, sur laquelle il pose un regard aussi tendre que minutieux. Il en tire une typologie, en noir et blanc, des petits miracles de la faune et la flore : le butinage d’une abeille, la danse d’un martinet dans le ciel, une toile d’araignée baignée de lumière, l’arabesque d’une feuille d’herbier marin sur le papier photosensible...
Du photogramme au cliché argentique, ces images sont transcendées par l’attention particulière que Jochen Lempert accorde au tirage. Celui qui se plaît à jouer avec les papiers ou la formule chimique du révélateur et du fixateur accueille chaque défaut comme un potentiel esthétique contribuant à la grâce de ses photographies, parfois floues, granuleuses ou surexposées. Pour Florian Ebner, chef du cabinet de la photographie au Centre Pompidou, à Paris – lequel présentait en 2022 une exposition de l’artiste –, son œuvre invoque autant les travaux d’Anna Atkins et de Karl Blossfeldt que la photographie objective allemande, ou encore celle des surréalistes.
Entre l'humain et la nature
À l’instar des expositions à l’accrochage direct et minimaliste, Natural Sources se place sous le signe de l’épure. Dès la couverture, le ton est donné. Les clichés défilent sur un fond blanc. Rien ne vient perturber leur contemplation, que ce soient les légendes, regroupées à la fin de l’ouvrage, ou les quatre essais imprimés sur un livret distinct. Le lecteur demeure en tête à tête avec la puissance poétique de chaque image et peut apprécier les associations visuelles, thématiques ou formelles chères à Jochen Lempert.
Dans les rébus photographiques de celui-ci, le monde naturel dialogue souvent avec la présence humaine. Si l’on compare à ses débuts, son œuvre est aujourd’hui moins centrée sur la domination de la nature par l’homme, laissant davantage de place à des questions de perception. On continue néanmoins d’observer cette tension qu’il exprime de manière toujours subtile : ici, à travers une méduse assiégée par un sac plastique ; là, une bande dessinée dans laquelle un homme-requin fait allusion au plus grand prédateur de la planète ; enfin, ces strates géologiques en conclusion du livre. Sur l’une d’elles, un baigneur a laissé, comme un fossile, la trace humide de son pied. Cette image, Jochen Lempert l’a intitulée Anthropocène : l’empreinte humaine est irrémédiable.
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Florian Ebner (éd.), Jochen Lempert. Natural Sources, Cologne, Buchhandlung Walther König, 2024, 272 pages, 48 euros.