Raymond Saunders : Déménagement
Aujourd’hui largement reconnu et célébré aux États-Unis, Raymond Saunders entretient une longue histoire avec Paris où il a exposé et fait de longs séjours à partir des années 1990. « Déménagement », titre choisi par Ebony L. Haynes, la commissaire, se réfère à un collage exécuté sur un carton de transporteur français. Par ailleurs, une partie de l’exposition est constituée de portes couvertes de peintures et d’inscriptions, toutes trouvées et travaillées dans l’atelier qu’avait l’artiste en région parisienne. Dans la grande salle sont exposés une dizaine de tableaux de format carré tous peints sur une base acrylique noire en employant différentes techniques, telles que la bombe, la craie ou le collage. Derrière cette unité donnée par la couleur, ces œuvres témoignent d’une grande diversité d’approches. Dans certains cas, Saunders accumule les références en collant des partitions de chansons populaires américaines ou des images de contes pour enfants, le tableau est bien près alors du mur d’affichage. Dans d’autres cas, il glisse des messages personnels, ou adresse des « flowers 4 Marie » dans un cosmos où flottent couleurs et papier déchiré. La destinataire est peut-être cette silhouette tracée à la craie comme un fantôme ou un esprit. Le noir ouvre un espace de recueillement, accès à une mémoire intime comme à celle immense de l’histoire de la peinture. Sur une de ses toiles noires, l’artiste a seulement écrit à la craie en lettres capitales : « pas de tags merci ». Avec la même craie, il a ajouté en bas un discret gribouillis à la Cy Twombly. On ne saurait mieux résumer la façon dont Raymond Saunders dialogue avec le monde, avec l’histoire, sachant faire d’une proscription un support à l’imagination.
Du 1er février au 22 mars 2025, David Zwirner, 108, rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Tony Regazzoni : High Energies » à la Galerie Éric Mouchet, Paris. Photo : Hafid Lhachmi
Tony Regazzoni : High Energies
Tony Regazzoni a depuis une quinzaine d’années fait de la club-culture queer son principal domaine de recherche et sa première source d’inspiration. Cette nouvelle exposition est une célébration de la Hi-NRG (la musique électronique qui a succédé au disco au début des années 1980) et des luttes homosexuelles d’hier et d’aujourd’hui. Loin de se limiter à un travail d’archiviste, il joue à prolonger la fête. Cela commence par une salle des drapeaux, faits en plastiques ornés de quelques-uns des slogans les plus originaux et percutants du FHAR [Front homosexuel d’action révolutionnaire], ou d’Act Up [l’association de lutte contre le sida]. Dans cette même salle, figurent des scènes de manifestations représentées en pyrogravure, technique traditionnelle à laquelle Regazzoni, le Jurassien, est particulièrement attaché. Franchissant un rideau, on trouve une salle d’écoute avec équipement hi-fi et coussins à motifs de plugs sexuels. La pièce maîtresse de l’exposition est la reprise de Bande organisée, conçue pour le Nouveau Printemps de Toulouse 2024. C’est pour partie la restitution d’un voyage que l’artiste fit il y a quelques années en Italie pour retrouver des discothèques mythiques, le plus souvent désaffectées. Le sol et une partie de mur sont couverts de bandes obliques colorées éclairées par une lumière bleue, et trois mobylettes bariolées offrent au visiteur un siège d’écoute et de contemplation. Ce qu’il peut voir, ce sont des images pyrogravées inspirées par le voyage italien, et ce qu’il peut entendre sous un casque intégral, ce sont des récits ou des bribes de fiction écrites pour l’occasion par des auteurs queers radicaux. Avec cette installation immersive à bas bruit, Regazzoni fait la jonction entre club-culture et folk art, marque de son identité.
Du 8 février au 22 mars 2025, Galerie Éric Mouchet, 45, rue Jacob, 75006 Paris

Vue de l’exposition « Garance Früh : Hard shells, tender skins » à la Galerie Ciaccia Levi, Paris. Photo : Aurélien Mole
Garance Früh : Hard shells, tender skins
Quoique de nature abstraite, les sculptures et reliefs de Garance Früh suggèrent des images de corps, d’organes. Les œuvres avec lesquelles elle a mis en scène son exposition semblent appartenir à trois séries distinctes. Sur des armatures métalliques hémisphériques au mur ou au sol, elle a tendu des gaines porte-jarretelles de couleur chair, y a rattaché des colliers de billes en plastique chair ou noir, des corolles de fleur en métal, qui nous font hésiter entre le rébus et la rencontre de hasard. Tant le détournement d’objets usuels que le caractère très élaboré de la composition suggèrent une construction fantasmatique tournant à vide. Une deuxième série est constituée par des reliefs en cuir moulé, sorte de drapés entourant et couvrant une forme circulaire à l’intérieur de laquelle on reconnaît quelques objets : anneaux, appareil dentaire, colliers, escarpin. Le cuir est teinté couleur chair et de petits grillages à trous en losange y ont été découpés. La suggestion est forte d’un organisme corporel qui aurait intégré ou ingurgité des accessoires de contrainte et de séduction. À côté de ces formes équivoques ont été disposés au sol des œufs en porcelaine noire ou blanche, images de la belle forme et de la pureté. Le corps et les contraintes exercés sur lui, la construction des identités sont autant de questions que Garance Früh soulève par la métaphore ou la métonymie. Au croisement du sculptural, de l’architectural et du prothétique, ses œuvres suscitent un trouble délicat et profond.
Du 30 janvier au 29 mars 2025, Galerie Ciaccia Levi, 34, rue de Turbigo, 75003 Paris

Vue de l’exposition « José Manuel Egea : Luna Llena » chez christian berst - art brut. Courtesy christian berst - art brut
José Manuel Egea : Luna Llena
Autiste, José Manuel Egea a depuis l’enfance conçu une passion pour les super-héros qui s’est transformée plus tard en la conviction d’être lui-même un lycanthrope. Il est rapporté qu’il lui arrive d’incarner ou de performer cette créature, et de mettre en pièces ses vêtements avec une dextérité et une rapidité peu communes. Avec le crayon, la gouache et le marqueur acrylique, il s’empare de photos et de pages de magazines pour y faire apparaître ou révéler des monstres hurlants, soit par détournement soit par un recouvrement quasi complet. De quelque nature qu’elle soit, difficile d’échapper à une fascination devant la puissance imaginative et obsessionnelle d’Egea. Cette fascination se prolonge d’une autre pour la manière proprement dite. Ce sont des pluies de traits qui s’abattent sur les images à la fois pour créer une atmosphère nocturne et par quelques accentuations faire apparaître un corps ou une face velus. Parfois, un peu de jaune marque une lune ou la sclère d’un œil, et des lettres enchevêtrées suggèrent rumeur ou vacarme. Par ce lent et délibéré travail de destruction-construction qui révèle l’animal en nous, José Manuel Egea délivre une bouleversante vision de la façon dont à un degré ou à un autre les fictions peuvent nous affecter ou nous fabriquer.
Du 1er février au 8 mars 2025, christian berst - art brut, 3 - 5 passage des Gravilliers, 75003 Paris