À nouvelle édition, nouveau quartier. Tel est désormais, depuis l’an dernier, le principe du Nouveau Printemps de Toulouse. Le secteur choisi cette année est celui des Carmes-Saint-Étienne et l’artiste-invité le réalisateur Alain Guiraudie, pour un festival d’art contemporain qui explore moult médiums – dessin, peinture, sculpture, installation, photographie, film… Il réunit une vingtaine de plasticiens, dont la moitié a produit une œuvre spécialement pour l’occasion. « J’ai invité des artistes qui ont, pour la plupart, un regard tourné vers l’avenir, utilisant des nouvelles technologies, jouant avec elles, mélangeant dans leurs installations des matières et des objets vulgaires ou plus nobles, pour les assembler dans un projet esthétique. C’est un enjeu majeur que d’aller chercher la beauté là où elle n’est pas », avance Alain Guiraudie.
Dans le parking des Carmes, deux voitures se sont métamorphosées en écrans de projection sur lesquels Neïl Beloufa diffuse un film qui jongle avec les notions d’image et de narration et mélange jeu vidéo et fiction en faisant se frotter des textes du cinéaste et l’intelligence artificielle. À partir d’un scénario de base – une communauté d’îliens –, le spectateur connecté par QR Code livre des éléments de sa personnalité et devient aussitôt un personnage de cette microfiction, expérience dont il pourra conserver une vidéo.
Au musée des Arts précieux Paul-Dupuy, les sculptures de Mathis Altmann dialoguent avec celles de Loucia Carlier, assemblages d’éléments et de matériaux hétéroclites – voire visuels et sonores pour le premier – qui témoignent de visions dystopiques et ô combien parodiques. « La période est compliquée, dit Alain Guiraudie. Je suis très intéressé par les promesses du monde contemporain, qu’elles soient positives ou hyper inquiétantes. L’art sert à déboucher les horizons ! »
À la Galerie 24, Cour Baragnon, June Balthazard et Pierre Pauze proposent Mass, une installation entre documentaire, science et fiction mêlant sculptures, vapeur d’eau et diptyque vidéo et triturant Big-Bang et éther quantique sous la houlette notamment d’une physicienne du CERN. « On a inventé un monde dans lequel la lumière naturelle n’existe plus et où on déambule dans le noir, explique Pierre Pauze. L’homme a, au fil du temps, coupé les "fils" qui le relient au vivant et il doit les retisser. » Le ton est donné.
« Nous avons toujours plus ou moins envisagé notre futur entre utopie et dystopie, entre enfer et paradis, entre horreur et bonheur. Le monde d’aujourd’hui, avec son avancée frénétique, est-il porteur de promesses ou sommes-nous en train de vivre nos dernières heures ? », interroge Alain Guiraudie. Dans un monde en déliquescence, il est évidemment question de « résistance ». Une résistance qui, d’ailleurs, a parfois du plomb dans l’aile. À preuve, cette installation de Tony Regazzoni (Bande organisée) déployée à l’Espace Saint-Jean. Il filme, avec l’aide d’un drone, des « utopies fanées » : des discothèques italiennes abandonnées aux noms mythologiques – Egyptia, Cesar Palace, Divina… –, reflets d’un monde prometteur désormais en ruine : celui des années 1980.
Dans la filmographie du cinéaste Alain Guiraudie, il est un opus dont le titre, évocateur, pourrait faire office de slogan de « résistance » : Rester vertical. D’ailleurs, consciemment ou pas, certains artistes s’en sont emparés. Ainsi Matthew Lutz-Kinoy qui, au musée Paul-Dupuy, réalise plusieurs séries de pochoirs imprimés sur de vastes textiles, dont certains s’inspirent précisément dudit long-métrage. La verticalité est également de mise dans l’œuvre de Mimosa Echard, qui a investi l’antenne 5G juchée au sommet du parking des Carmes. L’artiste y voit moins un objet de téléphonie qu’une « digitale », fleur à la fois remède et poison – belle métaphore, au passage, du téléphone portable. « Cette antenne est comme une épine dans l’architecture », dit-elle. La nuit, sur un écran oblong pixélisé à outrance, sont diffusées des images tirées directement de son téléphone portable, « comme une fuite de mes informations personnelles dans l’espace public ».
Dans la Cour Sainte-Anne, Jennifer Caubet a récupéré divers éléments normatifs métalliques – garde-corps, rampes et caillebotis – de l’ancien siège social d’Airbus pour ériger une sculpture mi-barrière mi-jeu d’enfants. « Je voulais renverser l’habituelle horizontalité de la ruine pour un jeu architectural sur la verticalité, souligne-t-elle. C’est l’idée de la ruine non pas comme une fin, mais comme un commencement ». Rester debout, c’est aussi peu ou prou le propos du duo Alice Brygo et Louise Hallou qui, dans l’Hôtel de Bruée, conçoit une installation mêlant objets, vidéos et un film sensible (Les Oracles), avec une lumineuse Colette, 86 ans, réalisé dans un Ehpad des Hautes-Pyrénées autour d’une question : Comment nos anciens voient-ils l’avenir ?
Dans la crypte archéologique du Palais de Justice, il est aussi question de résistance : Karelle Ménine y ressuscite des archives sur les « petites gens » avec une installation autour de milliers de « sacs à procès », desquels elle a tiré des « placards », ces accusations anonymes sur affichettes papier, dont certaines, revisitées par des étudiants en graphisme, ont même été collées sur un mur extérieur dudit palais.
Auteur de l’affiche du film d’Alain Guiraudie L’Inconnu du lac, Tom de Pékin déploie, dans deux salles du musée Paul-Dupuy, un travail conséquent, notamment à partir d’œuvres sélectionnées dans la collection du musée, comme ces étonnants dessins lenticulaires – deux images en une. D’autres œuvres flattent trans- et/ou homosexualité, telles celles baptisées Poussinades, scènes « croquées » au musée du Louvre, puis « sexualisées ». Dans les bosquets du Jardin royal, le tandem Mazaccio Drowilal a planté des silhouettes de stars cherchant à se cacher du public, photographies de paparazzi de magazines people surdimensionnées et repeintes, histoire de fustiger les faux-semblants de la dissimulation.
Résistance, enfin, dans un lieu dédié : le Monument à la gloire de la résistance. Dans ce splendide monolithe de béton brutaliste, Pablo Valbuena sculpte davantage l’obscurité que la lumière, pour une installation sonore et lumineuse de haut vol (Formes de résistance), mixant messages de Radio-Londres ou berceuse des Républicains espagnols. « Une fois à l'intérieur, il faut être patient, la lumière reprend toujours le pas sur l’obscurité », assure l’artiste. Tout est dit.
« Le Nouveau Printemps 2024 », 2e édition, du 30 mai 30 juin 2024, divers lieux, Toulouse
Au programme, entre autres :
Jeudi 30 mai 2024 : concert d’Exotourisme (Dominique Gonzalez-Foerster et Julien Perez), à 22 heures, Cour Baragnon
Vendredi 31 mai 2024 : projections de films d’artistes dans cinq cours d’hôtels particuliers habituellement fermés au public, à partir de 21 heures