L’art de Sienne est actuellement sous les feux de la rampe. L’exposition à succès « Siena : the Rise of Painting 1300-1350 » a présenté des chefs-d’œuvre de l’âge d’or de la ville au Metropolitan Museum of Art de New York et, le 8 mars, elle ouvrira à la National Gallery de Londres (jusqu’au 22 juin 2025). Au musée du Louvre, une nouvelle exposition sur le peintre florentin Cimabue présente des panneaux de Duccio, le grand artiste siennois du début de la Renaissance.
Dans la ville italienne elle-même, plusieurs projets transforment la façon dont la peinture siennoise est présentée et comprise. Le plus important est la rénovation de la Pinacothèque nationale de Sienne, qui retrace l’évolution de l’art siennois du XIIIᵉ au XVIIᵉ siècle. Axel Hémery, directeur de la Pinacothèque et ancien directeur du musée des Augustins à Toulouse, explique qu’à son arrivée en 2022, certains aspects du musée n’avaient pas changé depuis sa création dans les années 1930. Son équipe s’est considérablement agrandie, les salles sont en cours de réaménagement, le site Internet a été revu, tandis que la programmation et les collaborations ont été renforcées. Il devient enfin, selon son directeur, un musée aux « normes européennes ».
La Pinacothèque obtiendra l'« autonomie » en 2021, un statut accordé à un nombre croissant de musées italiens depuis 2014. Historiquement, les institutions de la Péninsule étaient régies par un organe administratif local, souvent responsable de dizaines d’institutions. Grâce à l’autonomie, les grands musées ont obtenu le contrôle de leurs finances, de leur structure de gestion, de leur recherche et de leurs ressources.
Le changement le plus profond à la Pinacothèque est la réorganisation des salles. Axel Hémery et son équipe, qui compte désormais cinq historiens de l’art, cherchent à se concentrer sur les points forts de la collection, ainsi qu’à retracer les changements de style au fil du temps. Il espère que les recherches sur l’art siennois iront au-delà du XIVe siècle. « Si nous parvenons à convaincre les gens de la grandeur des XVᵉ et XVIᵉ siècles à Sienne, nous aurons fait notre travail », espère-t-il.
De nouveaux partenariats ont par ailleurs permis de prendre des décisions audacieuses en matière de conservation. Un projet mené avec la Galleria dell’Accademia de Florence a par exemple permis à la Pinacothèque de réunir les panneaux du Triptyque de sainte Claire. La peinture centrale représentant une Vierge à l’Enfant, conservé à la Galleria dell’Accademia, retrouve sa place entre deux volets représentant des histoires de saints, appartenant à la Pinacothèque. Émise pour la première fois par l’historien de l’art Miklos Boskovits il y a environ 25 ans, cette proposition reste très discutée : certains historiens de l’art soutiennent, par exemple, qu’un motif central représentant une Vierge à l’Enfant ne peut pas être associée à la vie des saints de cette manière, et d’autres remettent en question la corrélation visuelle entre les deux parties. Pour Axel Hémery, c’est l’occasion de positionner Sienne plus au centre des débats sur l’art de la Renaissance.
« Pourquoi ne pas ramener à Sienne un tableau que personne ne voit à Florence ? Si, après quelques années d’exposition, tout le monde dit qu’il n’est pas à sa place, nous les séparerons, argue-t-il. Certains historiens de l’art siennois peuvent être un peu dogmatiques ; nous devons essayer d’aider les gens à se faire leur propre opinion. »
Avec l’aide de la conservatrice Donatella Capresi, Axel Hémery a créé une « association des amis » de la Pinacothèque, qui a déjà attiré 400 membres au cours des premiers mois. Le nombre de visiteurs du musée a quant à lui doublé depuis 2022.
Les travaux eux-mêmes du musée doivent s’achever avant l’été 2026, date limite d’engagement des crédits de résilience italiens post-Covid-19. Mais Axel Hémery est optimiste. « Je pense que c’était le meilleur choix de ma vie de postuler à ce poste », déclare-t-il.
Un nouveau regard sur un maître ancien
Un peu plus loin, au Museo dell’Opera Metropolitana del Duomo, un examen technique a permis de redonner vie à l’œuvre d’art la plus célèbre de Sienne, la Maestà de Duccio. Ce retable monumental à double face est un excellent exemple de l’art siennois de la période précédant 1348, une époque d’extraordinaires réalisations artistiques avant que la ville ne soit dévastée par la peste noire. L’enthousiasme suscité par la Maestà était tel que, dès son achèvement en 1311, elle a été au centre d’une procession dans la ville jusqu’à la cathédrale.

Duccio, Maestà (1308-1311). Photo : Wikimedia Commons
La recherche, lancée par les conservateurs de « Siena : The Rise of Painting » et menée par l’Opificio delle Pietre Dure (OPT) de Florence, s’est concentrée sur les panneaux narratifs représentant des scènes de la vie du Christ et de la Vierge. La réflectographie infrarouge et la fluorescence UV, appliquées à la prédelle, ou base arrière, ont révélé des dessins préparatoires réalisés par des mains inconnues, prouvant ainsi l’existence d’un atelier organisé. Il s’agit de zones de dessin à main levée, de modèles préparatoires et de pentimenti (images légèrement modifiées ou non utilisées).
L’analyse a mis en évidence la sophistication du traitement de l’espace par Duccio et a montré comment, « dès la phase de sous-modelage », il souhaitait souligner « la physicalité tridimensionnelle des corps », expliquent Sandra Rossi et Emanuela Daffra de l’OPT dans un courriel adressé à The Art Newspaper. Elles ajoutent que cela montre les liens stylistiques entre Duccio et Giotto, pionnier de la Renaissance, et soutient l’idée que tous deux ont étudié dans l’atelier de Cimabue, qui a jeté les bases de nombreuses innovations réalisées par les jeunes peintres.
L’équipe de l’OPT a analysé deux autres tableaux du musée, dont la Nativité de la Vierge de Pietro Lorenzetti, qu’elle a restaurée pour l’inclure dans l’exposition « Siena : the Rise of Painting ». Les résultats de l’analyse de la Maestà seront dévoilés lors d’une conférence organisée par la National Gallery à Londres le 20 juin. Les panneaux de la prédelle ont quant à eux été réunis pour l’exposition de Londres.

Ambrogio Lorenzetti, L’Allégorie du bon et du mauvais gouvernement (1338-1339). Photo : Route66
À cinq minutes de marche du musée, au Palazzo Pubblico, L’Allégorie du bon et du mauvais gouvernement (1338-1339) d’Ambrogio Lorenzetti, frère de Pietro, fait l’objet d’une nouvelle étude technique. Cette série de trois fresques se déploie sur les murs de la Sala dei Nove, la salle où un groupe de citoyens élus prenait les décisions concernant la ville entre 1287 et 1355. Cette œuvre dépeint avec une précision allégorique saisissante l’impact d’un gouvernement juste ou cruel sur une population, et semble toujours d’actualité.
« Les fresques du Bon et du Mauvais Gouvernement constituent l’apogée des réalisations d’Ambrogio en tant que peintre allégorique, commente Laura Llewellyn, l’une des commissaires de l’exposition de la National Gallery. Elles témoignent à la fois de l’observation et de l’imagination. »
Pinacothèque nationale de Sienne, Via S. Pietro, 29, Sienne, Italie
« Siena : the Rise of Painting 1300-1350 », du 8 mars au 22 juin 2025, National Gallery, Trafalgar Square, Londres