Malgré le chaos géopolitique mondial, l’ambiance et les résultats du marché international de l’art ont nettement été positifs le 5 mars 2025 à Londres. Christie’s a totalisé 130,3 millions de livres sterling (près de 155 millions d’euros), frais compris, lors d’une double vente marathon d’art des XXᵉ et XXIᵉ siècles et d’œuvres surréalistes.
Le montant total a plus que doublé par rapport aux 62,5 millions de livres sterling (74,3 millions d’euros), frais compris, obtenus la veille lors de la vente concurrente d’œuvres modernes et contemporaines de Sotheby’s. Avec ses 72 lots, répartis entre les sessions « 20/21 » et « Art of the Surreal », Christie’s a également pu proposer presque deux fois plus d’œuvres (contre seulement 38 lots la veille). La vente a duré près de trois heures. Seuls quatre lots n’ont pas été vendus, comme cela avait été le cas chez Sotheby’s.
« Le niveau d’activité a été plus élevé. Parfois, le fait d’être second peut être un avantage. En plus d’estimer le nombre d’enchérisseurs au téléphone, vous pouvez tirer des enseignements de la nuit précédente pour mesurer les attentes du marché et ajuster les prix de réserve, explique Lock Kresler, directeur principal de la Helly Nahmad Gallery à Londres. Il y a eu beaucoup plus d’enchères au téléphone et de participation dans les salles, ce qui témoigne de la qualité et de la fraîcheur de la vente. »
La révélation de la soirée a été la session annuelle de Christie’s « Art of the Surreal ». Inaugurée par le spécialiste Olivier Camu en 2001, cette vente londonienne spécialisée est devenue au fil des ans une composante de plus en plus importante du chiffre d’affaires de Christie’s. La grande exposition de l’année dernière au Centre Pompidou à Paris pour célébrer le centenaire de la fondation de ce que de nombreux critiques considèrent comme le mouvement artistique le plus durablement influent du XXᵉ siècle y a sûrement contribué.

Paul Delvaux, La ville endormie. Courtesy de Christie's
Composée de 25 lots, cette 24ᵉ édition a récolté 48,1 millions de livres sterling (57,2 millions d’euros), frais compris, doublant presque l’estimation basse d’avant-vente, avec une seule pièce invendue.
La reconnaissance infinie, tableau de 1933 de René Magritte, archétypal et énigmatique, montrant une minuscule figure humaine perchée sur une sphère flottant au-dessus de montagnes dénudées, a été adjugé à un prix à huit chiffres. Estimé à au moins 6 millions de livres sterling (7,1 millions d’euros), hors frais, il a atteint 10,3 millions de livres sterling (12,2 millions d’euros), frais compris, avant d’être adjugé à une enchère téléphonique lancée par l’un des spécialistes de Christie’s New York contre au moins deux sous-enchérisseurs.
« L’intérêt pour le surréalisme s’est renforcé aux États-Unis. Auparavant, il était considéré comme un mouvement artistique européen. Mais cela a changé », analyse Steven Platzman, conseiller en art basé à San Francisco, pour expliquer la flambée des prix des œuvres surréalistes. « Ce que nous avons vu, c’est que de plus en plus de collectionneurs américains s’intéressent à Magritte et aux femmes surréalistes. Il y a davantage d’acheteurs, la demande est plus forte », ajoute-t-il, alors qu’il a été sous-enchérisseur pour un paysage de Max Ernst de 1953, Colorado de Méduse, qui n’était jamais passé aux enchères et qui a été adjugé pour 3,1 millions de livres sterling (près de 3,7 millions d’euros), frais compris, contre une estimation basse de 700 000 livres sterling (832 610 euros), hors frais.
La bataille la plus intense a porté sur trois impressionnantes peintures de Paul Delvaux provenant de la succession d’un collectionneur anonyme identifié par les marchands comme étant Bruno Brasselle, un hôtelier belge. Soucieux des questions de sécurité, ce dernier avait gardé ces tableaux intacts pendant plus de trente ans dans les entrepôts de Christie’s à Londres après les avoir achetés aux enchères en provenance de grandes collections.
Les trois œuvres ont suscité de longs affrontements aux enchères, générant un total de 12,9 millions de livres sterling (15,3 millions d’euros), frais compris, contre des estimations aussi alléchantes que 500 000 livres sterling (594 720 euros), hors frais, et ont toutes trois été achetées au téléphone par un employé de Christie’s basé à Hongkong.
Le tableau La ville endormie (1938), d’un format impressionnant, représentant, dans le style caractéristique de Delvaux, des femmes somnambules dans divers états de nudité sur fond de bâtiments classiques et de montagnes au clair de lune, a été adjugé à 6,2 millions de livres sterling (près de 7,4 millions d’euros), frais compris, se hissant en tête des lots les plus chers. Convoité pour sa date précoce et la présence d’un autoportrait de l’artiste en costume, ce tableau a attiré au moins sept enchérisseurs déterminés.
Grâce à l’alignement d’au moins 70 membres du personnel travaillant assidûment sur leurs téléphones, les enchères ont été régulières dans la principale vente de Christie’s, « 20/21 », qui comprenait 47 lots, mais sans beaucoup de surprises ni d’excitation. La vacation a rapporté 82,2 millions de livres (près de 97,8 millions d’euros), frais compris, contre une estimation de 61,5 à 93 millions de livres (de 73,1 à 110,6 millions d’euros), hors frais.

Tamara de Lempicka, Portrait du Docteur Boucard. Courtesy de Christie's
Les quatre trophées de la soirée – signés Francis Bacon, David Hockney, Amedeo Modigliani et Tamara de Lempicka – avaient été garantis pour au moins 4 millions de livres sterling (près de 4,8 millions d’euros), hors frais, mais ils n’ont tous été adjugés qu’après une ou deux enchères. Le petit et férocement expressif Portrait of a Man with Glasses III (1963) de Francis Bacon et le grand et très décoratif Portrait du Docteur Boucard (1928) de Tamara de Lempicka ont dominé la vente avec des prix de 6,6 millions de livres sterling chacun (près de 7,9 millions d’euros), frais compris, tous deux plébiscités par des enchérisseurs au téléphone.
Cette vente aux enchères de Christie’s a apporté une nouvelle preuve que le haut de gamme sur le marché de l’art international continue de susciter le désir – à moins qu’il ne s’agisse des chefs-d’œuvre surréalistes d’un collectionneur décédé, restés dans un stockage pendant 40 ans. Mais, les 130,3 millions de livres sterling récoltés le 5 mars représentent une baisse de 34 % par rapport aux 196,7 millions de livres sterling (près de 234 millions d’euros) obtenus par Christie’s lors de la double vente équivalente à Londres en mars 2024.
Les marchands d’art soulignent qu’il est impossible pour Londres de développer de manière significative son marché des ventes aux enchères d’art moderne et contemporain haut de gamme maintenant que Christie’s et Sotheby’s doivent fournir au moins deux grandes saisons de ventes à Londres, Paris, Hongkong et New York. Le Londres de l’après-Brexit a-t-il un problème spécifique ? « Non », affirme Josh Baer, analyste et conseiller du marché de l’art basé à New York, qui se trouvait à Londres pour les ventes de cette semaine. Et de conclure : « Le problème est plus grave ».