L’année Art déco 2025, pilotée par la Région de Bruxelles, célèbre le centenaire de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, qui s’est tenue à Paris en 1925. Plusieurs manifestations sont organisées pour mettre en valeur l’événement. Ainsi, le BANAD (Brussels Art nouveau Art déco) Festival invite pour sa 9e édition à la découverte de lieux remarquables de l’Art nouveau et l’Art déco, habituellement fermés au public, le temps de trois week-ends. Autre initiative, celle du musée et jardins van Buuren, véritable écrin Art déco inauguré en 1928 à Uccle, qui accueillera une exposition sur la sculpture de l’entre-deux-guerres (« Around Art déco. Interbellum sculptures », du 24 avril au 28 septembre 2025).
Dans l’histoire de l’architecture, Bruxelles est moins réputée pour ses immeubles Art déco que pour sa contribution à l’Art nouveau, dont le livre de Franco Borsi, Bruxelles 1900 (l’ouvrage, publié par Mark Vokaer (Bruxelles) en 1974, constitue une référence en la matière) a fait prendre conscience de l’importance historique et de la valeur intrinsèque – ce mouvement, surnommé à la fin des années 1960 le « style nouille », a particulièrement subi les affres de la destruction. Il faut souhaiter la même réception au premier ouvrage consacré au brutalisme en Belgique (Pierrick de Stexhe et al., « Brutalism
in Belgium. A collection of buildings from 1950s to 1980 », Bruxelles, Prisme Editions, 2024), alors que ce style architectural, dont un des témoins majeurs est sur le point d’être démoli à Namur (le magasin C&A construit par Léon Stynen en 1967, actuellement désaffecté), est souvent décrié.
Des immeubles Art déco emblématiques
L’architecture bruxelloise Art nouveau concerne d’abord des résidences privées, et surtout des hôtels de maître, qui ont fait sa réputation. Ses édifices majeurs, la Maison du peuple et les grands magasins À l’Innovation que l’on doit à Victor Horta, ont été détruits, la première par la spéculation immobilière, les seconds par un incendie en 1967. À l’opposé, l’architecture Art déco occupe une place socialement et culturellement plus importante dans le paysage de la capitale belge. Plusieurs lieux sont construits dans ce style, à commencer par la Villa Empain qui abrite la Fondation Boghossian (laquelle organise l’exposition « Echoes of Art Deco »), le bâtiment Flagey (ancien siège de l’Institut national de radiodiffusion, aujourd’hui Maison de la Radio Flagey), renommé pour la qualité acoustique de ses salles, ou encore le centre d’art WIELS, à Forest, qui s’est installé dans les locaux d’une ancienne brasserie de la firme Wielemans-Ceuppens conçue par l’architecte Adrien Blomme. Ce dernier est également l’auteur du cinéma Métropole (à l’arrière de l’hôtel du même nom), transformé depuis en une enseigne de prêt-à-porter dont les réserves dissimulent le fameux relief La Danse d’Ossip Zadkine.

Église Sainte-Suzanne, 1926-1928, Schaerbeek.
© Photo Endre Sebok
Toujours sur les boulevards du centre, l’hôtel et le cinéma Plaza relèvent du même style, comme la grande salle du cinéma Eldorado (UGC De Brouckère) et son exceptionnelle décoration murale. Dominant le paysage au nord de Bruxelles, la basilique du Sacré-Cœur, à Koekelberg, constitue un véritable manifeste de l’Art déco religieux, de même que, dans une moindre mesure, les églises Saint-Jean-Baptiste à Molenbeek, Sainte-Suzanne à Schaerbeek ou Saint-Augustin à Forest, dont la maison communale est un joyau de l’architecture civile.
À côté de ces monuments prestigieux, le style Art déco se retrouve également dans l’architecture populaire et a contribué à modifier et à embellir certains quartiers, tels le square Coghen à Uccle, les cités-jardins Le Logis et Floréal à Watermael-Boitsfort, la Cité moderne de Victor Bourgeois à Berchem-Sainte-Agathe ou encore celle du Kapelleveld à Woluwe-Saint-Lambert. Construits à l’époque dans les quartiers périphériques de la ville, avec le développement de ceux-ci, ces ensembles sont devenus avec le temps des sortes d’oasis urbaines. Ils symbolisent une période révolue dont ils ont néanmoins conservé le charme, même si, pour certains, une rénovation a minima de leurs façades s’imposerait.
Le brutalisme en Belgique
Les constructions brutalistes belges se trouvent à un tournant crucial de leur existence, quelques décennies à peine après leur édification. Souvent ignorées, parfois menacées de démolition, ailleurs converties ou tout simplement abandonnées, à quelques exceptions près, elles n’ont pas les faveurs du grand public. Il faut dire que certaines, et notamment à Bruxelles, sont nées sur les ruines de quartiers centraux, détruits pour faire place à la jonction ferroviaire souterraine reliant les gares du Midi et du Nord. Cette césure urbaine datant du début des années 1950, inconcevable de nos jours, n’est quasiment bordée que d’immeubles de bureaux, transformant ces quartiers en zones mono-fonctionnelles peu accueillantes et désertes le week-end.
Il existe heureusement des contextes urbains différents, ou plus périphériques, où cette architecture a tout son sens, tant à Bruxelles qu’ailleurs. Un des meilleurs exemples en est la ville universitaire de Louvain-la-Neuve dont la construction a commencé au début des années 1970 et où cette architecture brutaliste a pu se développer dans un environnement plus homogène. L’ancienne bibliothèque des sciences (devenue le musée L), due à l’architecte André Jacqmain en 1973, en témoigne, tout comme certains bâtiments édifiés à la même époque sur un autre campus universitaire, celui du Sart Tilman à Liège.
L’ouvrage Brutalism in Belgium – par ailleurs, bel et rare exemple de publication où la photographie et l’architecture sont traitées de manière équivalente et complémentaire – se positionne comme un « lanceur d’alerte », visant à « valoriser l’architecture et la culture moderniste et brutaliste en Belgique ». Il se veut aussi un « manifeste visuel ». La sélection s’est opérée sur des constructions non mitoyennes, permettant de mettre, outre leur côté sculptural s’il en est, leur masse en valeur. Ainsi, la structure cubique surélevée du nouveau Musée royal de Mariemont (province du Hainaut ; 1975) logé au milieu d’un parc verdoyant – un contraste visuel assumé – constitue un geste architectural audacieux de son auteur Roger Bastin.
Le béton est le matériau de prédilection de construction de ces monuments-signaux, d’une rare modernité pour l’époque, à l’instar de ceux qui se dressent sur les autoroutes aux frontières avec la France ou à l’entrée de Bruxelles, à Zellik. Dessinés par l’architecte et sculpteur Jacques Moeschal, ils font partie du quotidien de milliers d’automobilistes. Cependant, « la puissance esthétique de ces bâtiments et leur apparence invincible ne les protègent pas de la vulnérabilité ».
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BANAD Festival, « Centenaire de l’Art déco », 15-16, 22-23 et 29-30 mars 2025, divers lieux, banad.brussels/fr
« Around Art Deco. Interbellum Sculptures », du 24 avril au 28 septembre 2025, musée et jardins van Buuren, avenue Leo-Errera, 41, 1180 Bruxelles, museumvanbuuren.be
« Echoes of Art Deco », du 15 novembre 2024 au 25 mai 2025, Fondation Boghossian – Villa Empain, avenue Franklin Roosevelt, 67, 1050 Bruxelles, villaempain.com