À la suite du Camden Art Centre (1), à Londres, qui inaugurait l’itinérance à l’automne 2024, le Frac Bretagne, à Rennes, présente à son tour la monographie dédiée à Nicola L. (1937-2018). Avec près d’une cinquantaine d’œuvres, « Chelsea Girl » a l’envergure d’une rétrospective muséale. Sous l’impulsion de Géraldine Gourbe, sa commissaire, et d’Étienne Bernard, le directeur du Frac, le projet a pu voir le jour grâce à la mutualisation des frais de production avec le Camden Art Centre, la Kunsthalle de Vienne (2) (Autriche) et le Museion – Museo di arte moderna et contemporanea (3), à Bolsano (Italie).
L’exposition permet de redécouvrir une grande artiste française qui a, paradoxalement, été invisibilisée, alors qu’elle a appartenu à la plupart des mouvements marquants de la modernité en art. Associée dans un premier temps au groupe des nouveaux réalistes, elle émigre en 1966 aux États-Unis où elle loge au mythique Chelsea Hotel, en plein cœur de New York. Ce lieu de vie et d’expérimentation la conduit à côtoyer les protagonistes de Fluxus (Yoko Ono) ou encore du pop art (Andy Warhol). Telle est d’ailleurs l’approche choisie par Géraldine Gourbe pour aborder l’œuvre de l’artiste : l’envisager sous l’angle des rencontres, lesquelles, au-delà de l’appartenance à des courants (dont Nicola L. n’a finalement cessé de s’extraire, pratiquant l’art de papillonner), témoigne avant tout des amitiés et de son goût pour la fête.
LE CORPS COLLECTIF, FÉMININ, RÉIFIÉ
La relation à l’art de Nicola L. se comprend d’autant mieux qu’elle est partagée à plusieurs, par une bande joyeuse, euphorique et bruyante. Un « faire corps » collectif, qui s’incarnera dans des pièces comme La Chambre de fourrure (1970), réunissant des corps sous une même peau. Habitat ludique, invitant à se toucher et à brouiller les frontières du sujet et du groupe par le partage d’une peau de fourrure, cette œuvre, à la fois sculpture, installation et performance, atteste bien du caractère kinky (coquin) et trouble du travail de l’artiste. De la liberté de jouer s’opère parfois un glissement vers l’abus ; on se joue alors de l’autre plutôt qu’on participe avec lui. Cette mise en scène du corps sous des atours de jeu, presque enfantins, pour tester les limites de sa réification, en particulier le corps de la femme (par exemple la sculpture vidéo Little TV Woman : I Am The Last Woman datant de 1969), témoigne d’une critique du patriarcat capitaliste. Transformant le corps féminin en télévision, Nicola L. tente ainsi de retourner l’arme contre son agresseur : disséminer le corps partout, du Canapé pied (1968) à la lampe L’Œil (2008), tout démembrer pour occuper le terrain. Comme pour dire : « Vous me voulez objet, alors vous m’aurez comme tel, partout où vous irez ! »
Ce flirt avec le monde du design est une caractéristique cruciale de l’œuvre de Nicola L., laquelle s’est pourtant refusée à en faire. Et il faut la prendre au mot. Ce sont certes des « objets fonctionnels », au sens où ils remplissent une fonction – la lampe s’allume, le canapé accueille –, mais ils sont emplis d’un trop-plein de caractère qui revendique la reprise d’un espace domestique volé et cannibalisé.
Dans le contexte de la contre-culture aux États-Unis, portée notamment par la dénonciation de la guerre menée au Vietnam, l’œuvre de Nicola L. aura été perçue comme hautement politique, lançant une charge pacifiste et antipatriotique. Cette interprétation liée à l’air du temps lui aurait convenu parfaitement, même s’il ne s’agissait pas de son intention première.
« Nicola L. Chelsea girl »,
31 janvier-18 mai 2025, Frac Bretagne, 19, avenue André-Mussat, 35011 Rennes, fracbretagne.fr
(1) « I Am The Last Woman Object. Nicola L. », 4 octobre-29 décembre 2024.
(2) « Nicola L. », 27 juin-14 septembre 2025.
(3) « Nicola L. I Am The Last Woman Object », 11 octobre 2025-28 février 2026.