Alors que l’administration du président américain Donald Trump poursuit sa réduction drastique des effectifs fédéraux, l’avenir de plus de 26 000 œuvres d’art appartenant au gouvernement est en péril.
Selon un article du Washington Post, cette vaste collection d’œuvres d’art publiques, dont certaines datent des années 1850, n’est plus gérée depuis la fermeture, au début du mois, d'« au moins » cinq bureaux régionaux de la General Services Administration (GSA), l’agence opérationnelle du gouvernement fédéral. La moitié des quelque 40 employés de la division de la GSA dédiée à la préservation artistique et historique ont été démis de leurs fonctions, en attendant leur licenciement, conséquence directe des décrets du président Trump imposant un gel des embauches et des réductions d’effectifs dans l’ensemble de l’administration fédérale.
Dans une déclaration au Washington Post, un porte-parole de la GSA a déclaré que l’agence « prenait des décisions pour optimiser les effectifs en vue de notre future mission, et restait déterminée à soutenir les employés concernés dans leur reconversion ».
Les anciens employés de la GSA ont exprimé leur inquiétude quant à la menace qui pèse sur les œuvres d’art se trouvant dans les propriétés fédérales à travers le pays. Parmi ces œuvres figurent Flamingo d’Alexander Calder, datant de 1974, qui se trouve au John C. Kluczynski Federal Building à Chicago, et Man Controlling Trade (1942) de Michael Lantz, près du bâtiment de la Federal Trade Commission à Washington.
Un employé anonyme, qui a qualifié les licenciements soudains de « coup de balai » au Washington Post, a évoqué une œuvre spécifique qui a été laissée dans un vide administratif. Le tableau Tropical Country de Gifford Beal, datant de 1941, a été temporairement retiré de son site d’exposition dans le bâtiment du ministère de l’Intérieur afin de pouvoir faire l’objet de travaux de restauration. Aujourd’hui, la GSA étant dans l’impossibilité de prendre des décisions, le restaurateur ne sait pas à qui s’adresser ni pour le paiement ni pour l’avenir physique de l’œuvre.
« Il n’y a eu aucune anticipation, ni planification, ni prise en compte de cela, a déclaré l’employé au Washington Post. C’est d’une extrême incohérence. » Les commandes en cours avec des artistes dont les œuvres n’ont pas encore été livrées sont également menacées, tout comme les opérations de récolement et de restauration qui permettent de maintenir les œuvres d’art fédérales existantes en bon état et de les répertorier.
Depuis 1974, la GSA a commandé plus de 500 œuvres à des artistes tels que Maya Lin, Martin Puryear, Louise Nevelson et Ellsworth Kelly pour des bureaux fédéraux et des espaces publics à travers le pays. Beaucoup de ces œuvres, dont certaines sont physiquement rattachées à des bâtiments gouvernementaux, nécessitent une supervision et un entretien réguliers de la part de petites équipes de personnel dans chacune des onze régions fédérales. Il faut encore déterminer comment cette supervision pourrait être assurée en l’absence d’un bureau centralisé, mais l’agence a suggéré un processus de transfert de la propriété partielle ou totale des œuvres aux nouveaux propriétaires des bâtiments. Le déclassement des œuvres de la collection de la GSA est également une option.
Le 4 mars, la GSA a publié une liste de 443 bâtiments « non essentiels » que l’agence avait l’intention de mettre en vente, soit environ 50 % du parc immobilier fédéral. La liste a rapidement été supprimée, bien que le porte-parole de la GSA ait déclaré qu’elle prévoyait de la republier prochainement, ajoutant que l’agence « étudie des approches innovantes, notamment des partenariats public-privé, des baux fonciers, des cessions-bails et des accords de collaboration interagences, afin d’optimiser notre portefeuille immobilier à l’appui du [décret] de l’administration. Ces actions se traduiront par une amélioration de la qualité de service pour nos clients et des économies pour le contribuable américain ».
D’anciens membres du personnel de la GSA affirment que l’agence cherche à mettre fin au bail d’un entrepôt situé dans le nord de la Virginie, un lieu qui abrite des centaines de peintures et de sculptures. Les pièces financées par la Works Progress Administration, un programme du New Deal de l’époque de la Grande Dépression qui faisait appel à des artistes pour créer des œuvres publiques par le biais de commandes fédérales, sont les plus importantes et les plus urgentes à sauvegarder.
Le lendemain de la suspension pour une durée indéterminée des membres du personnel de la GSA, Jennifer Gibson, directrice du Center for Fine Arts et du programme Art in Architecture de l’agence, a exhorté les employés restants à télécharger leur historique de restauration dans un dossier partagé. Dans un courriel obtenu par le Washington Post, Jennifer Gibson a écrit que « cela doit être une priorité », en adressant le message à « toutes les personnes encore présentes ».
Le programme Art in Architecture agit en tant qu’organisme de commande pour le gouvernement fédéral depuis 1975, consacrant 0,5 % des coûts de construction des bâtiments fédéraux aux commandes artistiques. Le 29 janvier, le président Trump a signé un décret rétablissant une directive pour un National Garden of Heroes, un parc monumental devant accueillir 250 statues de figures historiques qui avait été mis en suspens lors de son premier mandat. Ses consignes ont visé à dicter le contenu des commandes, y compris une longue liste de « héros » à commémorer, en contournant le programme Art in Architecture et en laissant présager un avenir incertain pour l’art public présent dans les propriétés fédérales américaines.
L’Artists at Risk Connection (ARC), une organisation de défense de la liberté artistique, a publié le 7 mars une déclaration dans laquelle elle dénonce la « purge de la fonction publique fédérale » sous l’administration Trump. « Ces œuvres d’art historiques font partie du patrimoine culturel et historique des États-Unis, et elles doivent être préservées et entretenues, a déclaré Julie Trébault, directrice exécutive de l’ARC. La décision soudaine du gouvernement fédéral de vendre et de résilier les baux des bâtiments abritant ces œuvres d’art est très préoccupante pour leur avenir, en particulier celles qui sont intégrées de manière permanente dans des architectures sous forme de fresques et de peintures murales. Les pertes potentielles sont inestimables. »